Les dits du corbeau noir

Nouvelle la crique bran du 17 08 2012

NOUVELLE             La crique                  Bran du                  16 08 2012

Elle s’installait chaque jour à la même place et à la même heure, loin du tumulte de la plage, dans une crique à l’écart près d’un ancien embarcadère délaissé par les marins et plaisanciers car peu pratique pour les mises à l’eau des embarcations….   Elle aimait cet espace en demi cercle découpé dans la falaise et cette base en granit lissée par des siècles de marées conquérantes… L’accès à l’endroit était peu aisé, il est vrai, mais avec du temps et de la précaution on accédait après une descente attentionnée au sable fin et à sa couronne de galets….

Devant soi s’étalait le vert et le bleu plus ou moins mêlés selon le ciel et les nuages d’une mer paisible ou agitée dépendant des caprices du vent… En cet espace océanique, on se sentait à l’abri, comme dans un cocon enveloppant et rassurant… C’était le lieu approprié pour penser, rêver, songer, méditer, apaiser les remous de ses eaux intérieures, clarifier leurs écoulements, réguler leurs cours, veiller aux débordements et submersions…

Elle ne manquait pas de savourer chaque instant de ce séjour qu‘elle s‘accordait dans une disponibilité totale envers elle-même, de se rendre accueillante à toutes les visitations en ouvrant largement les portes de son cœur pour recevoir les ambassades d‘une vie, grouillante et multiple, silencieuse ou exaltée, partout présente et offerte…

C’était la troisième année qu’elle s’adonnait à ce bonheur simple, mais si entier et elle jouissait en toute conscience, en toute félicité de cette parenthèse blanche ouverte périodiquement dans le déroulé de son existence….   

Elle avait choisie l’heure où les plages se vident de leurs vacanciers, où les mouettes font la tournée des grèves en quête de pitances laissées par ceux-ci, où les couleurs du ciel s’apprêtent à virer de bord… L’heure calme et douce envahissait alors la crique et l’on pouvait se baigner le corps et l’esprit dans l’aura bienfaisante qui l’enveloppait comme une mère enveloppe son enfant…

Assise sur un repli de roche qui épousait son dos en une courbure adaptée, recouverte d’une robe légère et fleurie, portant chapeau de paille assorti d’un petit bouquet de fausses cerises, elle contemplait l’horizon, s’imbibait des effluves marines, laissait flotter sa pensée comme un bouchon sur les vagues ou un cerf-volant dans les courants ascensionnels du ciel…

Elle restait ainsi jusqu’aux premiers frissons ressentis en sa chair quand le soleil glissait dans l’océan incendié en répandant un sang écarlate… Lors elle reprenait le chemin inverse pour retrouver la villa qu’elle louait chaque dernière semaine du mois d’août aux abords de la Baie de St Brieuc en un pays dit de Penthièvre selon les plus anciennes cartes…

C’était le dernier jour avant son départ. Il avait fait chaud, très chaud et cette chaleur flottait dans l’air depuis le matin même….

Elle fit comme d’habitude en prenant soin d’emporter une bouteille d’eau fraîche…

Tout se passa comme à l’ordinaire sauf que cet « ordinaire » bascula, sans qu’elle s’en rende compte immédiatement, dans l’extraordinaire !…

Elle scrutait sans s’en lasser la ligne d’horizon où le ciel se confondait avec la mer ne laissant qu’une légère démarcation de nuées brumeuses pour discerner les territoires respectifs…

Et c’est en fixant cette lisière qu’elle aperçu un point qui grossissait et se démarquait en venant semble-t-il vers elle…

Il n’y avait plus aucun doute, c’était bien une embarcation légère qui se dirigeait droit vers la crique…

Elle put bientôt apercevoir qu’ à l’avant de la barque se tenait une femme qui lui ressemblait fortement et qui déjà lui faisait des signes amicaux et enjoués…

La barque accosta après l’éxécution d’une parfaite et délicate manœuvre…

Elle monta dans l’embarcation aidée par sa « sœur jumelle » car la jeune femme qui lui tendait la main lui ressemblait autant que deux gouttes d’eau traversées par un même rayon de lumière…

Je ne peux en dire davantage car la barque s’engouffra sereinement dans la chape nocturne qui recouvrit lors la baie toute entière…

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Il peut en être ainsi de l’attente et de nos espérances, de nos aspirations les plus intimes et les plus profondes…

Nous rêvons, nous songeons, nous projetons, nous construisons des scénarios, nous échafaudons des plans, des hypothèses…

Et la vie, ce que nous faisons ou non de la vie, inscrit ou non, sur la page blanche du possible, l’encre incarnée de nos aspirations….

Que de patience chez cette femme, que d’espérance aussi… Mais quelle récompense quand la barque attendue accoste enfin au quai du devenir !

Que soit en vous la crique et la barque à venir…



17/08/2012
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