Les dits du corbeau noir

LES MOTS QUI DISAIENT LA VIE ET LA METTAIT AU MONDE BARDI BRAN DU 2015-12-15 DECEMBRE

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Photos Bran du

 

Les mots qui disaient la vie et la mettait au monde...

Bran du 15 12 2015

 

« Alors il serait Ariorï, et le frère de ces Maîtres du jouir, qui, promenant au travers des îles leurs troupes fêteuses, célèbrent les dieux de vie en parant leurs vies mêmes de tous les jeux du corps, de toutes les splendeurs, de toutes les voluptés...

 

« C'est mauvais signe lorsque les mots se refusent aux hommes que les dieux ont désignés pour être gardiens des mots. »

 

« Homme sans mémoire ! Térii qui a perdu les Mots ! »

 

Victor Segalen (les Immémoriaux)

 

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«La parole ; elle est une mémoire vivante. Elle tisse les chaînons brûlants des regards, au fil des générations...  »

Malika Mokeddem Le Siècle des Sauterelles

 

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J'ai appris à dire le nom qui désigne ceci ou cela...

J'ai appris, de la pierre, le nom et celui dont se parent les différentes variétés de pierre pour se singulariser entre elles selon leurs spécificités de forme, de couleur, de substance, de grains...

De même pour l'arbre ou pour l'oiseau...

 

Je sais donné un nom à cela qui croît, nage, rampe, courre, vole, roule, saute, serpente, se déploie, s'enroule et meurt...

 

Je sais, et c'est cela le plus important, que pierre et arbre me connaissent à partir du nom que j'ai forgé à leur contact, sur leur enclume rouge, lisse et humide et dans leur brasero d'eau, de mousse, de feuille et de feu mêlés....

 

C'est par eux, par la bise et le brouillard, la bruine et le crachin, l'aube et le crépuscule, l'hiver et l'été, la neige et la glace, le solstice et l'équinoxe, le nadir et le zénith, l'Est faisant face à l'Ouest, que mon nom fut arrondi, lissé et poli...

Par les éléments je fus serti ayant pour écrin une panoplie de nuages...

 

Ainsi, un nom me fut offert ; un nom soufflé par les vents...

J'ai pluie, aussi, de par le ciel, qui fait averse de mon nom....

 

Chaque lettre qui forme mon nom est faite de vase, de glaise, de marne, d'humus, de terreau et d'argile...

 

Dans cette argile la vie y dépose ses empreintes ; les songes y laissent des traces ; le sang y fraye son cours ; le sperme y féconde l'instant dans une matrice où le temps s'espace...

 

 

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Ce nom est un parchemin où le silence dépose son sceau et « cercle » la cire rouge d'un signe qui résonne dans l'univers...

 

Jadis je n'étais que Parole, que Son jaillit du seuil des lèvres, que Vibration faite de Forces, d'Energies et de Lumières...

 

Mes paroles dansaient nues dans la ronde des saisons...

Le mot à lui seul disait le cycle et le rythme...

 

J'avais en ce temps habit de plumes et d'écorces...

 

Mes pieds épousaient la tourbe, la neige, l'écume ou les sables...

Ils étaient de noce avec un peuplement de vies ; de vies singulières faites de sève ou d'aubier, d’arêtes et de nageoires, de becs et de griffes, de houles et de brouillards...

 

Jadis, ma Parole mettait au monde, enfantait elle aussi des rondes et des saisons...

 

Les mots de jadis avaient pour bouches un estuaire, un confluent...

(Aucun son qui ne retourna à la Mer.)...

Tous se déversant et s'écoulant en parfaite communion vers un océan d'entendement...

 

Je ne sais trop que faire des mots d'aujourd'hui...

 

Des mots qui n'ont de convenance que celle définie dans un dictionnaire qui les enferme, les rétrécit, les formate, les restreint, les limite, les conditionne.....

 

Ce sont des mots vidés de poésie que ces mots détournés de la vie !

 

 

 

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Ces mots d'aujourd'hui ; Ils n'ont ni seins, ni hanches...

Ils ne sentent ni le foin fraîchement coupé après la pluie, ni l'odeur des algues séchant au soleil, ni un sous-bois couvert de ravenelles, ni l’exhalaison des champignons à l'automne, ni la bonne sueur de l'amour dans les vendanges du lit !

 

Ils sont banalisés, vulgarisés, aseptisés...

Ils sont devenus exclusivement utilitaires, vernaculaires, domestiqués  au sein d'une communication qui suscite plus d'incompréhension et de mésentente qu'elle ne produit d'équilibre, de beauté et d'harmonie !...

 

Jadis le mot était la fonction, le geste, l'acte lui-même...

Il traduisait, il incarnait, en acte l'accord et la résonance.

Il était à la fois musique et danse....

Il coulait comme ruisseau ou volait comme oiseau ayant de multiples branches, de multiples nids, dans le ciel...

 

Le mot ancien était taillé dans le cuir ou bien tatoué sur la peau...

 

Il disait la chair frémissante, le sang avivé, le regard perçant et attentionné de cela qui regarde le monde, de cela par qui le monde est regardé...

 

C'était un mot pénétrant car, de toute part, par la vie, pénétré...

 

Ce mot là n'avait pas peur de la mort qu'il respectait cependant, mais sans lui faire aucune concession... C'est pourquoi celle-ci ne prononçait ce mot que du bout des lèvres....

 

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Perdus sont les mots que couvait la lune et que bordaient les étoiles....

 

J'ai affouillé les marais, explorer les marécages, de ce siècle où la modernité fait loi de l'écriture...

 

L'essaim des sens s'est envolé, il n'y a plus d'abeilles dans la ruche où bourdonnait la vie....

 

Le mot d'alors était emboité, inséré à sa juste place, dans les articulations du vivant...  Il assemblait, réunissait, unifiait comme tenons et mortaises donnant assise et fondement, profondeur et élévation...

 

Il avait et faisait  sens parce que animé de l'Essence...

 

 

 

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Les mots des poètes et des bardes, ceux-la ont été bannis...

Ont les a reconduits aux portes du vertige, au seuil des abysses ;

là où la terre n'est plus habitable, où toute vie pose questions et implique une réponse pertinente à laquelle on veut se soustraire ou imposer un diktat....

 

Mais l'homme ne répond plus, se refuse de répondre, aux appels élémentaires, à cela qui ébranle, renverse, bouleverse, d'artificielles et de bien fragiles et suicidaires conceptions........

 

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Ma pensée, comme ses soeurs d'antan, se prolonge dans ma main qui se creuse pour recueillir une eau qui n'a plus de lèvres à irriguer.

 

Un autre jour ; un jour de mémoire avivée, la même main, entoure l'arrondi d'une pierre façonnée par un millénaire de vagues obstinées...

 

Tout est là, réside, là, y a demeure et ce, depuis le premier matin du monde....

 

L'eau de la vie... pour elle, j'ai fait vasque de ma paume et bassin de mon cœur...

Elle est fontaine pour mes pensées et puits pour abreuver mes jours, désaltérer mes nuits...

 

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Le mot ; c'est lui l'acte de naissance....

 

Par lui, l'initié s'en vient au monde, nu en son devenir, mais revêtu déjà d'une fidèle lumière.... Et paré d'amour comme un pommier de fleurs dans le printemps d'une immense promesse....

 

 

 

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Sans le mot nul parcours, nulle trajectoire, aucune traversée...

Il est la carte, le phare, la voile, le sextant, le compas, la boussole...

Il est l'Etoile ! Il est la proue et l'étrave, le bois qui renverse le flot...

 

Le mot fuse, jaillit, et fait de l'instant d'importance, son sommet, son promontoire.... Le mot est fait pour l'envol...

 

Heureux l'orant qui élève ses bras vers le ciel...

Heureux celui-là qui connaît l'envolée des rémiges et le bruissement que fait la soierie des plumes aux sorties de sa voix...

 

L'horizon lui fera signe ; signe fauve et d'incendie, en ses levants et ses couchants....

 

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On ne lève plus, aujourd'hui, de hautes pierres en l'honneur des mots emplumés de paroles qui prenaient sur leur cœur le cœur des femmes et des hommes pour les mener au plus haut du ciel....

 

Il ne reste que l'Amour ; lui seul peut insuffler au mot une respiration conjointe à celle du cosmos, semblable à celle de l'univers...

 

 

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16/12/2015
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