Les dits du corbeau noir

LES DITS DU CORBEAU (SUITE 3) BRAN DU LA PIERRE BLEUE (BARDI) 2000/2017 15 06 JUIN

 

La Pierre Bleue...

 

 

« Regarde, regarde la pierre nue, magnétique. Entends, entends les bourdonnements de vie dans les ruches de l'été. Tu es dans la chambre des pierres ; au mitan d'un temps qui s'écoule, paisible...

 

C'est ici que se joue pourtant la partie décisive des seigneurs et maîtres, que s'affrontent les tournois perpétuels des chevaliers de l'aube et de ceux du crépuscule, les lutteurs du jour et ceux de la nuit...

 

C'est ici qu'il est donné à l'homme qui ouvre ses bras, son silence et son cœur, de percevoir, de ressentir l'étrange et prenant fluide qui émane des Forces. C'est ici qu'il prend pleine possession de son âme, qu'il entre de plein sang dans l'antre de sa vitale demeure...

 

C'est ici la pierre qui relève l'être humain de toutes ses désespérances. C'est ici et nulle part ailleurs, qu'il allumera, de la flamme de ses yeux, de la braise de ses songes, les grands, les vifs, les hauts foyers de vie...

 

Toi qui filtres l'or, la poussière d'or du soleil, au tamis de ton cœur et qui retiens, au creux des paumes de ce temps, juste ce qu'il te faut de miel pour apaiser et adoucir la dureté de l'existence, toi pour qui le savoir et la sagesse ne sont pas puissance et domination, mais fleuves libres s'épanchant vers la mer d'entendement, toi dont les méandres et les courbes épousent les fières sollicitudes de l'âme, toi l'homme révélé au ponant de ses profondeurs, ne te faut-il pas appliquer l'onguent de la Parole, le baume du silence, l'herbe magique du poème sur les gerçures de ton siècle ?

 

Deviens la goutte d'eau qu'un soleil évapore, qu'il restitue à la vasque matricielle, à l'élément originel, au fluctuant berceau...

Te voici au solstice de tes retrouvailles, dans l'aura de la pierre, là où ce qui était écrit demeure, à toi, seul, visible en cet instant.

Te voici au cœur, sur le cœur et au-dedans du Cercle, au Centre de toute chose qui sont sans commencement ni fin.

Parce que tu ignores ce qui pèse sur chacun des plateaux de la balance, tu avances à la recherche de l'équilibre précaire des forces...

 

Le sage lui te dira : « l'équilibre ; c'est la route des nuages !»...(Lao Tseu)...

 

Ici, rien ne se fige, tout est mouvance. Il n'est ni douleur, ni félicité perpétuelle, il n'est que braises, cendres, vents, braises et flammes...

Ici est l'onde d'Amour qui rayonne vague après vague.

C'est l'incessant voyage des appels et des répons, des silences et des cris où l'amour se renvoie à l'amour, dans le flux et le reflux, dans l'embellie et la douleur des corps aimés qui se cherchent, se hèlent et se répondent...

 

Jette ton cri en l'étang de la vie comme un filet aux mailles ardentes qui ne retiennent d'écailles que la nacre émeraude et bleutés du poème...

 

Que la faux de tes « celtitudes » fauchent les herbes d'égarement...

 

Puisses-tu jeter ton cri sur les hauteurs de tes incontestables victoires, puisses-tu jeter le tramail du silence sur les jours tumultueux, puisses-tu accompagner en connivence la succession de tes pas afin qu'ils serpentent, en lames d'écume jusqu'au rivage de ton Vœu...

 

Sais-tu la raison qui pousse l'eau à sourdre des ténèbres ?

Le désir est sur ses lèvres de chanter un jour la mélopée d'écume...

 

De même que les cygnes noirs remontent vers le Grand Nord, l'homme doit retrouver et reprendre le chemin de ses origines.

Le barde est ce saumon qui ne cesse de remonter le courant des siècles pour déposer, dans les frayères de sa naissance, ce germe de renaissance vers lequel s'acheminera à son tour la volonté d'un Peuple-Source...

 

Il est, il sera, en cette terre, pour chacune et chacun, un sentiment de commune appartenance à une semblable Sève de Lumière...

 

 

 

Par delà le « bien et le mal » se trouve le grand cycle de l'Eternel Retour de la Ronde d'Amour qui fait saisons de l'homme...

 

A cet homme, je dirais l'art et la matière, le grain de peau, le grain de sable, l'atome de la pensée, la physique de l'amour, la métaphysique du cœur, toute l'alchimie du Verbe le plus apte à ses métamorphoses...

 

Je lui dirais le bronze que l'on appelle airain, je lui dirais le cuivre, je lui dirais l'étain, le bel argent que jalouse la lune, l'orichalque que revêt l'été en ses plus flamboyants atours, l'ambre dont se parent les flots aux grandes équinoxes. Je lui dirais, à ce poète forgeron, toute la science de ses mains, celle qui moulent la terre à l'image des cieux. Je lui dirais encore le secret mariage du Verbe de la Mort avec le Verbe de la Vie sur l'enclume sonnante des chants de pleine lune...

 

Ainsi, il connaîtra la lutte permanente de ce qui s'ouvre et se ferme, se retient et s'épanche, se fuit et se cherche, s'attire et se repousse, se retire et se pénètre, dans le Grand Œuvre de la Vie, dans le Chaudron d'abondance...

 

Qu'il ait cette attirance que le jour à pour la nuit, l'eau pour la lune, l'Amour pour l'Amour, mais, s'il s'en vient à moi, qu'il ne mette, sous ses pas, ce corps étranger qui trouble le sommeil et le rêve des fleurs !...

 

 

 

Je suis la Pierre Bleue, je suis ici et ailleurs, je navigue sans cesse et sans cesse je demeure...

Je suis morte, je suis vivante, selon que tu ouvres ou que tu fermes les yeux en ton âme consciente de la brûlure véritable de mes feux...

 

Qui es-tu, d'où viens-tu ? En quel lieu as-tu déposé le poids de ton corps, la charge de ton cœur ? Quelle direction comptes-tu donner à tes pas, quel chant pour ta voix, quelle loi pour ton sang, quel espace pour tes rêves, quelle écorce pour ta sève, quelle beauté porteuse d'émois ?...

 

S'il te faut tout quitter, ce n'est que pour mieux te revenir. Plus on s'éloigne et plus on se rapproche, plus on se cerne et plus on s'échappe...

Tu es en ce monde et à l'orée des autres mondes, en ce temps et en dehors, en cette île peuplée de présences inconnues, mais, reconnues par toi et en toi comme une indicible substance, comme une essence nourricière, comme un lait transparent qui œuvrent en bienfaisance...

 

Sur la grève consentante tes sables se rassemblent...

 

C'est pour cela que tu es la Vie et que la Vie est en toi...

 

Seul l'Amour peut résoudre l'énigme...

C'est la simple Lumière qui éclaire toute chose...

C'est le drapé des ombres qui s'estompe dans les plis du soleil...

 

Toute réponse précède la question pour qui se donne avant même que de recevoir dans l'élan qui formule, le geste qui signifie, dans l'inédit d'un langage lisible dans les yeux...

 

Tu es là, comme pierre au soleil, comme pierre d'entendement, pénétré d'évidence...

 

L'âme des pierres anime ton cœur et tes songes, tu voles, tu rampes, tu plonges, tu vas de hauteurs en profondeurs parmi les millénaires de sang, de sève, de sel, de musc et de sueur...

En cela et par cela tu comprends l'étincelle au sein des heurts qui concélèbrent l'union des contraires...

 

Tu es la source qui se penche sur le miroir de sa fontaine , tu es la fontaine qui se répand dans les bars de son étang, tu es l'étang qui glisse nonchalant par la rivière de ses veines vers ce grand corps d'océan où les courants t'entraînent pour caresser les rivages du monde...

 

Nous sommes hommes et pierres de ce même rivage et nous sommes la commune rivière des flux, des fluides et des ondes dont les courbes se répondent de la source à l'embouchure...

Nous sommes l'identique compréhension du Fleuve...

 

Il est notre monture et il est notre guide (Quel cheval, quel coursier, plus digne pourrait-il nous mener à la mer, au large, à l'immensité divine?)...

 

Ainsi, semblablement, l'eau serpente en nous quand nous sommes d'Amour. Ainsi sommes-nous consacrés autant dans notre corps que dans nos pensées. Ainsi s'épanouit l’œuvre de l'Esprit, toujours et encore...

 

 

 

Qu'étais-tu jadis pour si tant aimer en ce jour ?...

 

J'étais l'éphémère au sablier du temps...

J'étais la seconde futile pareille aux autres secondes...

J'étais la course dérisoire d'un rêve orphelin d'un ciel et d'une source...

J'étais grain de sable noyé dans le ciment des villes...

J'étais la fleur séchée et pressée d'un livre jamais ouvert...

J'étais l'enluminure d'un manuscrit oublié...

J'étais le pain ; comprenez celui qui n'avait plus le goût du pain...

J'étais et pourtant point n'avait de nom...

J'avais épousé, un temps, des idées qui n'étaient pas de mon sang ni de ma sève...

J'errais de ci, de là, sans musiques dans le cœur

et le vent effaçait mes empreintes de sable...

 

Quelle pierre as-tu levé en toi ?

Quel vivant symbole as-tu dressé sur l'horizon des hommes pour situer ton Amour au regard de l'Amour ?

 

Laisse les courants du monde t'emporter en leurs courbes comme Femme en l'Amour...

 

Romps, sans équivoque, la corde, qui hier encore, étranglait tes neufs jaillissements...

N'aies craintes des brumes et des glaces, l'Amour est un phare puissant qui affouille les ténèbres pour arracher à la nuit les enfants issus du sang de sa Lumière...

C'est lui qui t'ouvrira le pourpre, l'émeraude, le difficile détroit...

 

Toi qui ne crains plus l'inéluctable naufrage et dont la proue fend les dernières réticences, tu retrouveras ton île originelle, la matrice de tes rêves et de tes ans, ton âme flottant comme liège sera portée vers son rivage poussée par tous les vents du Nord...

 

 

 

Te souviens-tu de ton île , des vastes prairies d'écume, de cet étang où se baignait le silence, de ces cascades de cristal qui faisait sonner ta joie sur le parvis de ton corps, jeune et nu ?...

 

C'est là, goutte de ciel, où tu naquis , c'est là que fut engendrée la flamme d'eau qui forma les prémices de ton fleuve de vie...

Aujourd'hui tu en remonte les méandres de jadis...

 

Souviens-toi de ces sources inépuisables à te conter, brin à brin, l'écheveau de la tendresse, de ces sources amoureuses de ton juvénile visage..

 

Souviens toi de cette transparence d'eau aux paroles pures et claires...

 

Tu n'as pas perdu le chemin, l'égarement se termine, au ciel obscur tu as reconnu l'Etoile et tu mets le cap sur son infinie Lumière...

 

Écoutes, enfant de l'île aux quatre sages, nobles en vertu et dignité, écoutes la saga des vents sauvages, la gwerz des vagues, la sône d'écume, la symphonie rythmée des marées...

Écoutes le Grand Appel qui roule sur la grève illimitée de ta neuve existence et qui déferle sur ton front, tes paumes et tes joues en fontaines d'Amour...

 

Que ta barque s'élance au-delà de la neuvième vague (l'impétueuse, la décisive, l'inoubliable...)

et qu'à la neuvième (l'ultime, la redoutable au cœur non confiant) la mort elle-même te souhaite bon voyage se rappelant que toi aussi, disciple de son maître, tu es né de la vague et retourne en son sein...

 

Voles et vogues, de ciel en abîme, d'abysses en sommet, de vallée en cimes jusqu'aux îles d'Eternelles jeunesses...

Que soit alors la grappe d'or offerte sur le plateau de la joie...

 

 

 

Après la grande migration de tes songes, ton rêve s'en viendra nidifier à même cette terre chérie.

Oeuf blanc que ce rêve aux proportions parfaites qui éclosera en la profondeur de ton âme. Œuf sur lequel se poseront les grands ailes de la nuit... Neuf couvaisons de lune pour que t'enfante son Esprit...

 

A l'heure du Grand Mystère, sacré sera l'Homme au mitan de la clairière, sacré le vent, sacré le sanctuaire, sacrés les gestes de ses bras et le murmure des pierres...

 

Cette nuit un Homme s'en va éclore et briser sa coquille de nacre et de verre...

Lors jaillira la sève nouvelle , jailliront le rameau sur le chêne, le fleuve et son cours...

 

Un Homme, au matin de cette nuit là, jettera dans les sillons du vent les premiers chants de l'aurore... (Graines et semences et belles emblaves du jour.)...

 

Lors se lèvera un Grand Soleil d'Amour...

 

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15/06/2017
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