Les dits du corbeau noir

Imbolc 2012 : Conte

La Cailleach (Ecosse)

Très libre adaptation de la légende…


                                                                   
J’ai ouï dire et raconter par nos anciens… Ouï dire qu’on a vu au pays des hautes neiges une très vieille femme, au front ridé comme une pomme de janvier et vêtue d’une cape de nuit que n’éclaire nulle étoile… Elle habite ponctuellement sous un vieux tumulus qui, dit-on, fut la résidence des anciens dieux… C’est sur une colline surmontée d’un vieux chêne où les corbeaux aiment observer l’espace de leur journée et sous un tertre que se tient cette chambre dolménique qui comporte un long couloir coudé flanqué d’une rotonde de pierres encorbellées…
Elle vit seule en compagnie d’un vieil ours bourru, qu’elle a recueilli tout petit et dont on ne sait la provenance… Elle demeure pour un certain temps en ce lieu avec « la bête » en cette bien étrange tanière…


Elle passe à proximité du bourg quelque fois et arrive généralement avec le jaunissement et la chute des premières feuilles, quand les bruyères déclinent, que les fougères roussissent et que la lande se couvre de cuivre et d’or…


Elle ne reste que quelques mois et parfois s’attardent plus que d’habitude à la grande désolation des habitants de la contrée car quand elle peigne ses cheveux blancs argentés, le givre, le froid, la brume humide, s’étendent et s’installent durablement sur tout le pays…


Certaines personnes égarées ont été amenés à croiser furtivement son regard et en demeurent comme glacés, percés de part en part par une flèche acérée… Après avoir recouverts leur esprit ils ont pu cependant décrire ses yeux semblables à ceux des chats ou des chats huants avec une lune d’or au-dedans…


Toujours par ouï dire et selon les Anciens, la Vieille repart le printemps revenu et disparaît sans que personne n’ait pu assister à son départ mais ce qui est sûr c’est que celui-ci coïncide avec la pousse des premières fleurs printanières…


Certains plus téméraires ou plus fous ont bien tenté d’approcher son gîte hivernal mais la présence de l’ours a été rapidement très dissuasive !…


Le seul à connaître le « Grand Secret » est un roitelet l’un des oiseaux les plus petits. C’est lui qui en a parlé au grand corbeau de mer quand celui-ci l’emmène promener sur l’océan lointain en le portant sur son dos. Le corbeau, qui n’est pas avare de mots, en a parlé à son tour au cerf de la haute futaie lequel en avait déjà eu ouï dire par une couleuvre habituée du marais et qui disait tenir sa source du sanglier qui erre vers les tourbières ; un sanglier qui avait comme ami notre roitelet….


Comment les Anciens eurent à connaître cela, l’histoire ne le dit pas et on ne le saura sans doute jamais, mais ce récit est tel que j’ai pu le retenir et ce dans la bouche du vieux Mac Adams, un ramasseur de ferrailles et de cuivre ainsi que de peaux de lapins lequel passe chaque année visiter les « feux » et tirer quelques pintes de bière rousse et ambrée au tonneau de Mac Phersonn comme chacun sait… le personnage ne se fait jamais tirer l’oreille pour remplir les nôtres !…


On dit que la Cailleach s’en vient en cette contrée pour préparer son « voyage magique » et ce à l’abri des regards, dans la semi obscurité de sa caverne. Elle ferait bouillir un chaudron où macèrent des plantes ramassées les nuits de pleine lune d’automne. Celui ou celle qui pourrait s’approcher, à bonne distance tout de même, du tertre, pourrait sentir en les effluves des aromes d’angélique, de millepertuis, d’armoise, d’aneth, de sauge, de menthe et bien d’autres choses encore…


Elle demeure plusieurs semaines à veiller sur son chaudron. On ne sait de quoi elle peut bien se nourrir pendant tout ce temps. Peut-être que son ours apporte de la nourriture qu’il partage avec elle ?… Plus la nature se recroqueville et plus l’hiver se fait mordant et plus le fumet s’épaissit…


Un jour les corbeaux font grand tapage et les voici qui s’activent sur le grand chêne et commencent à construire leur nid… Le grand cerf s’isole dans les combles et les taillis, il sait qu’il va bientôt perdre ses bois et qu’il lui faudra ingurgiter puis déglutiner quelques serpents pour favoriser sa « régénération » et éliminer toutes les « impuretés » accumulées pendant la traversée hivernale… Ce sont là des signes avant-coureur, mais c’est l’ours qui donne le vrai signal d’un bouleversement en cours lui qui sort de plus en plus et longuement de son antre…
Lors, la Cailleach éteint le foyer, disperse les cendres et verse dans un gobelet d’étain la potion
demeurée dans le fond du chaudron, puis ayant bu l’épais breuvage, la voici partie suivie de son ours à travers les landiers aux bourgeons émergeants…


Son périple est immuable : Plein Nord, toujours plein Nord !…


Elle va le dos courbé comme un saule assoiffé en s’appuyant sur un bâton de houx jusqu’aux abord d’un village côtier où se déroule chaque année une mystérieuse cérémonie….


C’est d’abord un cortège qui déambule dans la campagne ; un cortège de huit jeunes filles en robes blanches et couronnées de fleurs ; un cortège précédé d’une autre jeune femme en cape verte avec des primevères dans les cheveux… C’est une jeune femme qui attend un enfant que l’on entend honorer ainsi. Elle tient contre sa poitrine une poupée faite de paille et de jonc, dont le cœur est fait avec la nacre de coquillages cousus qui brille comme l’Etoile de Vénus dans la nuit la plus profonde…. Toutes ces beautés ont les cheveux qui flottent au vent avec les rubans qui les lient en partie, et ici et là, piqué dans la chevelure, du lierre et des perce-neige. Chacune porte une petite lanterne à la main et dans chaque lanterne flambe une bougie blanche ou verte… En fin de cortège suit une vache elle aussi en robe blanche tout aussi parée de rubans, de lierre et de fleurs…


Trois jeunes filles se tiennent près de la parturiente ; l’une porte une petite harpe dont elle joue merveilleusement, l’autre un soufflet de forge et la troisième une corbeille de plantes médicinales… Les autres sont munies d’une cruche et d’un linge blanc et chantent une belle mélodie tissée par la joueuse de harpe…


Elles vont ainsi de maison en maison, de foyer en foyer, et apportent leur bénédiction et celle de la Grand-Mère sur tous et chacun, sur leur demeure, leur bétail et leurs biens…
Chacun, chacune, sont invités à porter leur lèvres aux coupes présentées alors que des mains gracieuses tracent sur leur front, avec de l’argile bleue, trois traits de lumière…
Devant chaque ferme il en est ainsi… Lorsque le maître de maison a bu le « breuvage de vie nouvelle », les enfants présentent en riant aux jolies dames le premier agneau de l’année…
Lui aussi est délicatement aspergé de l’eau neuve… La maîtresse des lieux fait alors offrande de gâteaux préparés à leur intention ; c’est le Bannock de Bride…


Le cortège fait le tour du village et ceci toujours dans le sens du soleil et n’omettent aucun foyer dans cette tournée rituelle… Toutes et tous se rendent alors à la Fontaine….
Les dames déposent leur couronne sur la margelle et replantent autour des perce-neige ainsi que des primevères. La future maman fait de même et pose sur l’onde claire la poupée de paille symbolisant « l’Enfant-Lumière »…


C’est alors, et alors seulement, que la Cailleach descend de la colline surplombant le village et qu’elle s’approche de la fontaine sacrée. Elle prend dans ses paumes l’eau parfumée et boit le lait transparent et pur de la source. Puis, elle se redresse, sa cape sombre couverte de cendre grise glisse et tombe sur la terre qui se met à reverdir… Ses cheveux hirsutes et sales deviennent aussi beaux et lumineux que des rayons de lune et de soleil, aussi brillants que les lumières célestes reflétées dans le miroir de la source…


Devenue un halo de vive lumière la forme humaine vient se marier aux splendeurs émanant du bassin de la fontaine et se dilue en elles….


Ainsi disparaît aux yeux de tous la Cailleach et les oripeaux de l’hiver…


Certains ajoutent à cela que parfois on peut entendre dans les grottes creusées à flanc de falaise des grognements aussi terribles que la houle fouettant les rochers ou bien des petits gémissements proches de ce chagrin profond que peuvent avoir les enfants…
Ce serait l’Ours abandonné à lui-même et attendant le retour de sa maîtresse

 

Bran du        Jan 78 et 2006



30/12/2011
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