Les dits du corbeau noir

DU SILENCE (ET DE l'ETAT DU MONDE) TEXTE DE MICHEL CAPMAL (RECOMMANDE) 2021 LE 09 02 FEVRIER

 

 

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 PHOTOS BRAN DU

 

 

 

Voici un texte fort pertinent, clair, visionnaire, lucide, salutairement interpellatif, objectif et hautement poétique ; c'est-à-dire animé d'un souffle et de la substance même du Vivre...

Il donne à « respirer » la sereine et exaltante plénitude du Vivant de la Vie et fait rappel de tous les manquements de l'Homme envers celle-ci

...  Bran du

 

 

AVANT-DIRE

 

 

Ce texte, Tel serait le silence, écrit en janvier 2020 a paru dans le numéro 30 des Cahiers du Sens, au deuxième trimestre de la même année, et entièrement consacré au thème du Silence,

 

Qu’il soit ici dédié à la mémoire de Samuel Paty, abominablement assassiné le 16 octobre 2020. Cet homme avait cru possible de transmettre à de très jeunes gens une impulsion salutaire pour vouloir et savoir penser par soi-même, avec le goût d’apprendre tout au long de la vie. Et en prenant conscience que l’ignorance et la peur ont toujours été les deux piliers de toutes les dominations et régressions. Le ressentiment, s’il n’est pas surmonté par la lumière que seuls peuvent voir les yeux du cœur, ne suffit assurément pas à une véritable émancipation, et devient l’instrument des pires manipulations.

 

C’était un homme de bonne volonté et de courage travaillant dans l’étroit périmètre du rationalisme laïque d’un établissement scolaire français contemporain. Contre le décervelage et ses fausses identifications, ses armes étaient l’esprit critique et le sens de l’humour propre à une culture vivante.

 

Que le silence évoqué ci-après, comme expérience individuelle et volonté collective, prolonge et outrepasse la très solennelle « minute de silence », et soit un silence sans fin, non pas de soumission mais de lucidité bienveillante, pour la reconquête, c’est-à-dire la redécouverte de l’espace-temps où se meut et évolue ce qu’il serait encore possible d’appeler l’âme d’un peuple. Pour la reconstruction d’un plan d’accès à une résonance majeure entre connaissances traditionnelles et imagination créatrice. Le sacré c’est d’abord et toujours la vie elle-même. La vie toujours plus consciente d’elle-même.

 

M.C. Paris, 4 février 2021.

 

 

 

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Michel Capmal

 

Tel serait le silence

 

Les Cahiers du Sens n°30

 

 

 

 

Le silence. Devant le vacarme permanent et un bruit de fond généralisé auxquels pour des raisons de survie élémentaires il a fallu s’adapter, ou plutôt se soumettre, le silence est devenu une « inquiétante étrangeté ». Le silence fait peur. Alors que, et plus que jamais, devant la menace d’un burn out collectif, s’impose la nécessité d’un lâcher-prise en commun que, bien évidemment, aucun programme politicien ne pourrait proposer. Un tel lâcher-prise équivaudrait à tourner le dos à l’emprise d’un productivisme aussi démentiel qu’universel. Et à s’extirper enfin de la croyance envers ce seul et unique principe de réalité ; domination totalitaire de cette idée fixe : vite ! vite ! vite ! pour toujours plus ! toujours plus ! encore plus ! Même une grève illimitée, mais bornée à des revendications, n’aboutirait pas à cet incontournable et apparemment impossible changement historique de direction dans les affaires humaines. C’est ainsi que le silence, pour nos systèmes nerveux saturés de stridences, de stress et de zapping ininterrompus, sur fond de fureur et d’hystérie omniprésentes et intégrées, est redouté comme une des pires violences antisociales. A silence on doit aussi ajouter lenteur. Mais silence et lenteur sont « obsolètes » et, en quelque sorte, « réactionnaires ». Le silence ? Mais de quoi s’agit-il, exactement ? Le vide, l’absence, la béance, le désert, l’attente ? De même que les espaces dits sauvages, ou plutôt « naturels », ont disparu, laissant place ici à une sorte « d’ensauvagement » urbain multiforme, et plus loin à une spirale de barbarie guerrière, le silence est désormais quelque chose d’anormal ; sinon une marchandise de grand prix, parce que rare et précieuse, comme l’or ou le diamant. Pourtant le silence est ce qui n’a pas de prix.

 

 

 

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En cette époque de dislocations, de délitement, et de précipitations vers l’effondrement, atteindre, non pas le « pur » mais disons le « vrai » silence, relève quasiment de l’exploit et même de l’héroïsme. Un silence fécond et salutaire afin de prendre le temps de la réflexion. Méditation ? Ce serait peut-être trop demander devant les urgences actuelles et à venir, bien que… Alors disons réflexion approfondie, et non plus réflexe pavlovien comme chez le déjà ancien homo festivus décervelé. Les festivités s’achèvent dans le fracas des catastrophes. Il est reconnu depuis bien longtemps que le comble de l’aliénation c’est de ne pas en avoir la moindre conscience. Donc, un vrai travail de réflexion pour les bonnes décisions, lesquelles ne pourront se faire jour dans les cerveaux surchauffés de décideurs et dirigeants aveuglés par une incurable vanité, et de grossières et courtes ambitions. Leurs très discutables compétences consistant surtout à entraver, avec l’aide de la doxa hypermédiatique, l’actuel soulèvement des peuples vers une prise de conscience suffisante concernant leurs vrais besoins. A chacun d’eux, de ces roitelets d’une malheureuse parcelle de l’empire consumériste, on devrait offrir, pour Noël ou le Nouvel An : Ecoute petit homme de Wilhem Reich, paru en 1948. Une alerte toujours très actuelle contre l’épidémie persistante de peste émotionnelle.

 

(De l’actuelle pandémie dite du coronavirus à l’ampleur considérable et inédite, on peut considérer qu‘elle est une conséquence à très longue portée de « la peste émotionnelle », principalement sous l’aspect de la rupture de l’humain avec la Nature. L’ére covidienne commence…

Note du 13 mars 2020. M C.)

 

On ne saurait oublier cette pratique monstrueuse des vivisecteurs consistant à trancher les cordes vocales de leurs victimes animales, chiens et chimpanzés, afin de s’adonner en toute tranquillité à leurs expérimentations prétendues scientifiques. Un silence de mort se prolongeant avec la disparition des oiseaux, des cigales, des grillons, des abeilles, et tant d’autres êtres vivants. Souvenons-nous de Le printemps silencieux de Rachel Carson, « dédié à Albert Schweitzer qui a écrit : L’homme a perdu l’aptitude à prévoir et à prévenir. Il finira par détruire la terre. » Et en ce moment même, des millions d’animaux terrestres périssent dans les flammes des grands incendies de forêts : Amazonie, Australie, Afrique. Et d’innombrables animaux marins agonisent dans un océan de déchets de matière plastique. Les campagnes sont désertifiées,

 

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les villes surpeuplées. Admettons que cette remarque soit « exagérée », et schématique, elle n’en exprime pas moins une tendance lourde et consternante propre à ces temps présents de fin d’un cycle, avec l’apothéose de la « grande accélération », depuis 1945, de l’Anthropocène, ou Molysmocène, âge des déchets, ou encore Capitalocène, ou Numéricène. Un dessèchement meurtrier par l’obsession productiviste, érigée en « logique », imposant silence à la vie vivante, sous tous ses aspects, et en tous lieux. Censures, falsifications, dénis, amnésies, omerta.

 

La planète brûle ! Ou plus exactement, si la biosphère est en danger de dégradation irréversible, ses presque huit milliards d’habitants sont en transmigration et perturbation permanentes vers un futur sans avenir. Sinon celui d’un silence définitif après l’extinction de toute espèce vivante. Où aller pour enfin trouver du silence ? Sur quelque sommet montagneux ou au fond d’une vallée perdue, seulement fréquentés par les aigles et les ours ? Mais, à l’heure du tourisme prédateur et de l’exploitation mafieuse des dernières forêts primaires ou primordiales, cela existe-t-il encore ? Alors fuir la ville ? Bien sûr, et c’est depuis longtemps l’évidence même pour tant d’esprits lucides. Mais voilà qu’en ces temps d’incommensurables paradoxes, c’est au cœur des métropoles, comme dans l’œil de la tempête, que, parfois, il serait réellement possible d’atteindre « un silence consubstantiel à tout », selon les termes de Malcom de Chazal. Une expérience bouleversante pour celles et ceux encore capables de marcher dans la ville sans appareillage électronique ni géolocalisation mais qui, ayant gardé le goût d’une dérive aimantée, détiendrons la disponibilité intérieure pour découvrir le lieu même où le silence les attend. Expérience de résistance et d’ouverture commençant déjà avec les objets les plus familiers et prosaïques, à partir de ce moment « magique » où l’on ne les regarde plus comme possessions utilitaires (en ayant tout débranché, ordinateur, téléviseur, etc.) mais dans leur présence même. Les choses telles qu’elles sont selon l’angle d’approche adéquat. L’aura des « choses ».

 

 

 

 

 

 

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Il existe, certes, nombre de « lieux spirituels », mais il s’agirait, par de-là toute dogmatique et pouvoir théocratique, de retrouver en soi-même, non seulement un espace mental ou un refuge provisoire, mais un lieu de convergence des forces vitales. Des forces vitales, empêchées dans leur déploiement vers des niveaux de conscience bien plus subtils, et qui se retournent contre elles-mêmes. Et dans cette guerre contre le vivant, il est impératif d’aller vers un affinement de ces énergies captives et dissociées. En errance de par le monde, amour et haine sont deux incoercibles énergies.

 

 

Si le « vrai » silence n’est pas seulement absence de bruit, il peut, à certains moments, nous donner à entendre la vibration fondamentale de l’univers, son bruit de fond, audible en chacun de nous, rencontrant ainsi la triple interrogation de Paul Gauguin : « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ». Et surviendra une réponse, par-delà fureur et nostalgie, que seul le souverain silence peut nous donner.

 

Le silence, dimension ultime de salut. J’imagine alors quelqu’un, un anonyme, qui, ayant décidé d’entrer dans le silence, serait devenu mime, au milieu du monde, plutôt que moine dans un lointain ermitage. Le voici posté de grand matin sur une place publique, un carrefour, un rond-point. Tout d’abord solitaire et parfaitement silencieux, au fil des heures, sa seule présence attirera diverses et toujours plus nombreuses personnes. Rejoignant d’autres groupes de silence sur toutes latitudes disséminés. Et qui franchiront la frontière tant redoutée vers le Pays du Réel, pour ainsi parler comme Victor Segalen. Là où l’on sait faire silence et l’habiter ; jusqu’en ses confins. Mais sans pour autant sombrer dans la mélancolie ou le solipsisme, et encore moins la privation sensorielle, mais, bien au contraire, s’approcher d’une source inépuisable et bienfaisante. Retrouvant ainsi l’usage de nos sens : l’ouïe, le toucher, l’odorat, la vue, avec les vertus de la lenteur. Et un nouvel entendement pour une réelle incarnation dans la vie sur Terre. Inséparable d’un langage remagnétisé, et d’une parole vivante. Un silence vivant. D’abord quelques dizaines, quelques milliers, et centaines de milliers, puis des millions et des milliards d’hommes, de femmes et d’enfants debout ou marchant à travers la dévastation. Une gigantesque « manif » sans mots d’ordre, ni revendications, mais animée par cette volonté inédite et irrépressible.

 

 

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Tel serait le silence. L’envers de la violence et de la confusion partout répandue. Comme un fil rouge, symbolique et charnel, vers l’unité vivante. Une énergétique porteuse de sens. Une longueur d’onde rendant inutilisables tous les gadgets et prothèses électroniques, et dérisoire leur crétinisante « réalité virtuelle ». Une seule grande journée suffira pour le retour de l’exil. Dans la plénitude de l’ici et maintenant. Et dans chaque ville un Haut Lieu de Silence, où l’Or du temps deviendrait chant du Monde ; à partir de l’imperceptible, d’un quart de ton, d’une première syllabe.

 

J’imagine ? … Cela, qui n’est pas seulement une allégorie, s’effectuera au point de rencontre de l’expérience intérieure et de l’impérieux tournant social-historique. Pour retrouver le soubassement perdu de la vie réelle à même de s’opposer au monde hallucinant qui vient vers nous à très grande vitesse. Et déjà « structurellement » installé autour de nous, et en nous-mêmes. L’imaginaire ? Vérité d’un impensé, d’un non-dit. Affleurement et révélation d’une nécessité primordiale. Une nappe phréatique préservant la mémoire des fondements d’une civilisation lyrique encore ensevelie sous les ruines. Telle est la puissance du silence.

 

Silence et métanoïa. Car il est cependant dans l’ordre du possible immédiat, pour, espérons-le, beaucoup d’entre nous, de décider, désirer, inventer un nouveau rapport à soi-même, aux autres, et au monde. Pour habiter la Terre.. Mais tout d’abord le silence…

 

 

 

 

Michel Capmal - Janvier 2020

 

 

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13/02/2021
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