Les dits du corbeau noir

CHRISTIAN BOBIN UN BRUIT DE BALANCOIRE (SUITE) ENTRETIEN BRAN DU 2019 11 03 MARS

Christian BOBIN Un bruit de balançoire (L'Iconoclaste éditeur) extrait de l'entretien sur radio RCF avec Thierry Lyonnet « Visages »....

« Comment je peux vous donner un exemple ? »....

«Si, à l'oreille, j'entends la notre vraie, je crois alors ce que l'on me dit. »

(Il est fortement question dans cet ouvrage de la vie et de la figure de Ryôkan moine zen errant écrivain et poète du XIXè siècle.)

Je cherche quelqu'un depuis toujours...

Je cherche la joie, cette joie non étanche, non séparée de toute réalité souffrante ou douleur... (Je ne sépare rien, ni les présents des absents.)...

Ecrire ; c'est appeler dans le noir... Espérer qu'il y ait un écho, que la parole butte contre un visage...

Du moine Ryôkan : Il y a une « qualité », cette qualité que j'espère en toute personne que je vois ou que je rencontre... ce n'est pas le bonheur, l’optimisme, pas la gaîté

.... mais une joyeuseté d'enfant... Vous êtes devant lui comme devant un frère... Il est « vrai »...

///...

Je n'ai rien fait de ma vie, rien... juste bâti un nid d'hirondelle sous la poutre du langage...

Mais quid de ce « rien » ?

On nous apprend lorsque nous sommes petits à chercher des choses « solides » ; ces choses données par l'ouvrage que l'on fait, les soucis, parfois par la morale, par la « récompense », par le savoir, les certitudes ou l'argent...

Peu à peu, le sol se dérobe sous nos pieds, avec les épreuves, avec une joie qui ouvre aussi sur l'abîme. On s'aperçoit que les choses dites « solides » ne le sont pas vraiment, pas en vérité... Qu'est-ce qui reste alors si ce n'est le « rien », mais un « rien » qui est de la plus haute qualité : c'est la fleur même de la Vie...

Il me semble que ce qu'il faut protéger le plus, ce que vous aimez le plus, dans le plus profond du cœur, se met, doit se mettre, à l'abri dans un mot ; se cacher dans un mot... C'est un sentiment, une sorte d'intuition...

Vous ouvrez, un jour, parfois, la fenêtre et vous voyez votre vie qui passe. Elle n'est plus en vous, mais en dehors de vous et vous acceptez qu'elle passe et vous trouvez qu'il n'y a rien de plus beau que ce « passage »...

(Il y a aussi une notion de don et il appartiendra à la personne d'en face « d'ouvrir » ou non le « cadeau »)...

Un papillon qui vole dans un jardin « sauvage », c'est comme une question qui vole et il n'y a pas de réponse car cette question contient tout tant elle est « rafraîchissante »... Ce « rien » c'est une délicatesse portée par les ailes de ce papillon......

Le « rien » c'est peu-être la pensée la plus pure qu'on puisse avoir sur la vie et cela est difficile à préciser...

N'être « rien » peu y parviennent...

De Ryôkan : « On dit qu'ayant tout trouvé en lui, au plus blanc de la montagne de son cœur, aux neiges éternelles de son sang, ayant trouvé plus que tout, Ryôkan est redescendu se mêler aux simples et aux « perdus ». Il ne leur faisait pas la morale, il ne leur parlait pas de « Dieu », non. La silencieuse intelligence qu'il avait de la vie se communiquait à tous comme une guérison véritable... »

Ce pourquoi ce que nous aurons la chance d'instruire autour de nous, ce ne sera pas tant avec nos paroles, ce ne sera même pas avec une morale, mais c'est cette chose impondérable qui est la « présence » ; la vérité de notre « présence »... Et c'est cela qui va peut-être réveillé l'autre, le toucher et c'est cela en lui qui va nous réveiller aussi ( cela marche dans les deux sens.)...

Les voix, elles mentent, disent qu'elles mentent quand elles mentent, même sans le savoir...

On ne comprend l'essentiel que par un éclair « sans mots »...

Il suffit d'écouter.

Nous pouvons être des miracles les uns avec les autres...

Un moine, un « saint », ce n'est pas extraordinaire ; c'est la vie qui est extraordinaire. Si nous nous mettions dans son flux, nous pourrions obtenir des choses ; une compréhension de l'incompréhensible...

Une voix qui cherche, qui dit le vrai « silencieusement », sans morale, juste avec une empathie brûlante de l'autre...

(Si je n'exagère pas les traits de ma pensée on ne verra rien.)

(Passage d'un avion supersonique dans le ciel du Creusot au moment de l'entretien : le bruit (non déplaisant pour moi) de cet avion ; c'est comme un bruit de fer à repasser sur un linge bleu.)

Il n'y y a rien de plus difficile que d'offrir « rien »...

Mais qu'est-ce aussi que de « rien faire » ?...

 

Je vois, je ressens la totalité de la Vie, comme un livre...

Chaque journée est une page entière illuminée que l'on me propose de déchiffrer...La plupart du temps je vais plutôt me taire, mais regarder comme un affamé...

Le pain sur la table... Le faire « renaître » en « affamé » ; c'est aller ; c'est retourner jusqu'au grain de blé, jusqu'à l'épi, jusqu'à la « moisson » et la sueur des hommes qui ont œuvrer pour ce pain...

Je vois les correspondances entre les choses, Mais je les vois à condition de ne pas être dans une « occupation »...

Le « son » nous fait leçon !

Je crois que je suis né comme cela, depuis toujours donc...

J'attends que quelqu'un vienne ; c'est une attente douce...(difficile à expliquer)...

Même quand nous sombrons, surtout quand nous sombrons, il y a quelqu'un qui, de sa main ferme, nous maintien la tête hors de l'eau...

Les épreuves nous resserrent sur notre cœur...

C'est l'écriture qui me fait « voir »... (une sorte de radiographie.)

Ecrire c'est « tricoter » ; c'est une main qui vous soutien, qui vous évite le naufrage...

Tout m'apparaît jusqu'à ce que j'ai vu soit riche de presque toute la totalité du monde...

Je suis un aventurier d'un autre type... (Ch Bobin voyage peu dans l'espace.) 

Parlant de ceux qui voyagent au loin :

« ...Ils sont partout sauf en eux ces gens qui font le tour du monde. Le plus long voyage que j'ai fait, c'était dans les yeux d'un chat. »

Je crois en très très peu de choses, je ne crois pas aux racines. Je n'aime pas le voyage, mais j'aime les gens du voyage ( les gitans, ceux que l'on parque dans les pires endroits.)

Des gitans : Ce qui me touche, ce n'est pas tant cette « pauvreté », mais la « royauté » de leur « pauvreté »... Ils ont un « toucher » de la Vie qui est presque encore intacte, une joie qui circule dans une Vie froide et glacée...

Les contraires s'attirent, se parlent et s'aiment beaucoup de ce fait.

J'aime lier commerce de paroles, de regards, avec tout plein de gens...

Oui, je sais, mes livres, mes mots, peuvent changer le cœur de bien des gens, changer leurs regards ; c'est une chose vraie, mais difficile à « accepter »... Vous avez certes donné à travers vos textes, c'est troublant et prenant, mais je n'écris pas pour quelque chose ni pour quelqu'un, je suis un peu « muet »...

Je cherche un tout petit peu de lumière dans le noir de ce monde...

Mon souci ; c'est le présent...

Un livre publié ; c'est comme quelque chose que l'on brûle dans le jardin...une fumée, plaisante, odorante s'en dégage..

Dans une « lettre à une chère inconnue » il est dit en conclusion ceci : « le cœur quand il existe se voit de loin, un mont Fudji dans la poitrine, le sang vieil or de l'amour. »...

L'écriture doit nous faire sortir de la tombe de nos vies, faire revenir le sang dans nos veines, elle doit venir nous chercher là où nous sommes.

Il faut toujours essayer d'aller plus vite que soi-même, essayer tout le temps d'être un peu « ailleurs »...

Quand vous aimez vraiment une personne, ou même une chose, un ouvrage ; quand vous aimez vraiment vous êtes voués à une sorte d'échec miraculeux parce que ce ne sera jamais comme vous le vouliez, ce ne le sera jamais, jamais...

Et puis la vie est si dure par ailleurs, elle vous contre, elle vous oppose des choses à certains moments et elle à raison de le faire et même si elle n'a pas de raison, elle le fait quand même... Avec la volonté, vous gagniez des choses, vous gagnez des choses dans le monde. (Mais un gagnant va toujours avec des perdants!)...

Le cœur ne gagne jamais à la loterie du monde, jamais, jamais... Dans l'amour, il n'y a ni vainqueur ni vaincu... Il n'y a pas de « triomphe »...

Il n'y a rien de plus beau que le dévouement, que le « sacrifice », cela fait sans même y penser, sans recherche d'intérêt en retour, sans même plus « exister »...

L'amour n'est jamais, jamais, vainqueur. C'est comme cela qu'il triomphe, au fond ; c'est comme cela que, dans un sens, il gagne... C'est en « perdant » qu'il « gagne »...

Il est souhaitable de rendre plus « léger » le nom de Dieu, ne pas le laisser « enfermer », mais l'emmener faire la fête...

La Présence/absence : c'est une confiance injustifiée, mais pourtant là. La plus belle présence de « Dieu », c'est que l'on n'a pas de « preuve » de lui, de celle-ci...

Dieu, peut-être la plus subtile façon d'être...

Je ne suis pas pour un « détachement » absolu...

Nous sommes tous des « mendiants », mais on ne sait pas vraiment ce que sais.. Il y a quelque chose en nous qui tend la main...

Nous demandons à certains objets de garder en eux le meilleur de nous-mêmes... (voir le peu d'objets qui accompagne une personne dans une maison de retraite.)...

Une certitude ; c'est une porte fermée, bétonnée...

Trouver ; c'est peut-être risquer de se perdre (parce que l'on est sûr et certain de ce que l'on a !) La vie : c'est de chercher ; si vous trouvez, vous êtes perdu.. Il faut chercher certes, mais ne croyez pas avoir trouvé...

J'essaye d'aller en nous, d'aller vers ce cœur d'enfant qui est en nous, plus que tout... Ce qui parle à notre cœur d'enfant, c'est ce qui est le plus profond...

Que cherchons nous en fait ? C'est nous-mêmes et nous-mêmes c'est un petit peu plus que moi... Une identité amoureuse sans arrêt en mouvement...

Il vie est ce jeu où il s'agit d'approcher au plus près de soi sans vous en apercevoir. Le risque est bien de croire que vous avez trouvé...

La vie est écrite partout.

Personne en vérité n'est seul...

L'idéal, c'est à la fois la rigueur et la souplesse d'un roseau...

La joie me tient à cœur, mais comment y être en ce monde ?

Je n'ai pas de « recettes » à ce grave sujet...Il ne faut pas déjà regarder le mal en face... Ne pas faire « l'économie » de cette réalité, mais connaître en même temps, retrouver, la force élémentaire (plus forte qu'une insurrection) qui va tout soulever ; soit ce sentiment concret que l'on est « Vivant », ne pas oublier cela en tout cas et ce sans se laisser enfermer dans une pensée douloureuse qui courre comme un fleuve noir qui courre dans le monde, qui est en train d'inonder des continents entiers...

Penser à cette incroyable chance, basique, d'être concrètement dans cette Vie malgré tout cela qui s'effondre, tout ce qui « brûle »...

Cela qui viendra à bout de toutes les horreurs ; la fraternité d'être simplement Vivant, ensemble, sur cette terre, cette simple terre...

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11/03/2019
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