Les dits du corbeau noir

Photo Bran du

Bardi des Saumons de Fontaine...

Bran du octobre 2018

Fut un temps, autre et différent ;

un temps d'avant les Grandes Eaux...

Nulle main lors tendue vers le fruit...

Nulle semence dans les sillons du labour...

Nuls cœurs rassemblés autour du feu...

Nulle hirondelle portant les saisons sur ses ailes...

Nulle fleur pour clamer le printemps...

Nul cri sorti du ventre des naissances...

Nulle Parole pour dire le Souffle puissant,

nul récit, nul chant. Nulle corde sur la lyre,

ni miel, ni fiel sur la langue...

Nul rêve à prendre son envol...

Nul sang au bout de la lance...

Nulle bière dans le Chaudron...

Que la joute alternée

du sombre et du clair ;

que le combat entre la nuit et le jour,

l'obscurité et la lumière...

Que les rivalités entre la lune et le soleil

Pour la partage d'écume et de braise,

d'ondes et de flammes...

Nul homme, nulle femme, nulle âme qui vive ; si ce n'est

le barde des commencements, le poète des origines...

L'Aurore, elle est venue, nue dans le souffle de l'air ;

rouge son front, ses lèvres et ses joues...

L'Aurore et son enfant de lumière ;

L'Aurore aux trois rayons d'or ;

L'Aurore au premier matin du monde ;

l'Aurore au ventre rebondi ; l'Aurore accouchant dans la rosée, posant sa rondeur sur le lit de la Terre...

L'Aurore poussant et ébranlant la Roue, ses huit barreaux et son moyeu, l'Aurore enfantant les Dieux régisseurs de l'Univers...

Puis dans l'aube rayonnante, sortant des brumes de l'espace, est venue la Femme, s' en est venu l'Homme.... de chair, d'os, de nerf, de songe et de sang, tous les deux...

Jadis fut ce temps, bien ancien, bien lointain...

Cinq arbres, ni trois, ni quatre, mais bien cinq en garderont souvenance et mémoire, plus tard, bien plus tard, ils raconteront...

L'Aigle en a souvenir...

Le Sanglier en a souvenir...
le Merle en a souvenir..

Le Cerf en a souvenir...

Le Saumon savait déjà de tous le devenir...

Le Saumon de toute science poétique...

Le Saumon de grande connaissance...

Avant tous les autres,

Avant la chouette et le roitelet,

avant l'ours et le corbeau,

avant les cygnes chaînés deux par deux...

Lui seul a connu la Source première

et les rouges noix tombant dans la Source, tournoyant dans la Fontaine de sagesse et de sapience...

Lui au ventre rouge, aux écailles vertes et bleue, lui venu du grand océan, les fleuves, remontant, de cascade en cascade, de torrent en torrent...

Cinq, en fait, ils sont, dans le Chaudron d'abondance ; cinq à faire la ronde autour des mondes enclos... Cinq dans le ventre gonflé de la Mère... Cinq majestueux et splendides poissons aux écailles de lumière...

Etrange la graine, mystérieuse la semence...

Qui pourra dire ce mystère, l'origine de ceux qui jaillirent sur la couche de feuille et d'argile, de ceux là façonnés par la Farine de l'Air ?...

Ceux-là, c'est certain, prirent forme portant les mots de poésie à leur bouche, boutant le feu de la Parole dans le brasier de l'avenir...

Leurs mots, c'est l'hydromel des braves et des héros, qui a leur suite, franchiront les seuils et les lisières, qui gagneront l'Autre Rive rapportant la pomme rouge sur sa branche...

Ceux là, ceux-la accrocheront le printemps à la queue des hivers...

Ceux là sont l'excellence même ; de bravoure est leur bouclier, de vérité, leurs javelots, flèches sont leurs mots qui transpercent la poitrine de l'obscure, la nuit des terreurs...

Ils ont jetés la peur derrière eux, l'ont enfermé dans le sac de cuir cousu, ils vont au devant de la vague, nu de cœur, et de corps, nu...

Le chaudron bouillonne pour eux, leur gobelet, leur corne, se remplie du breuvage des Dieux ; rousse est la bière et rouge leur ardeur guerrière, rouge comme les flammes dansantes dans le feu...

La haute pierre, la mémoire l'incise, le souvenir y grave les signes, inscrit le nom et le voue aux dieux... Ainsi la plaine, ainsi le gué, ainsi la colline, ainsi le haut-lieu de la victoire ultime....

Nulle trace pour l'indigne, nul bouillonnement dans la cuve des braves, nulle souvenance, tout cela effacé par la pluie et le vent...

Fintan, Myrddhin, ou Tuan ; ceux-là frayèrent dans les eaux de la Mère, ceux-là ont remonté le cours des ans, ceux-là ont sauté par dessus les générations et les siècles, ceux-là se sont nourris des noisettes pourpres ruisselant dans la rivière du temps...

Ceux-là la Femme les prit en sa bouche, en son sein, en sa couche... neuf mois durant...

Et les voici de leur feu flambant, emportant les mots et les chants en leur course ; déposant aux rives, aux berges, aux rivages d'océan, le riche limon, les fertiles semences ; faisant s'élever dans le ciel par la puissance de leur souffle, l'étincelle du vivant...

Initiés, ils sont, et ce, depuis les commencements, Ils furent comme morts avant d'être vivants, ont connu bien des corps, au leur s'essayant... Il reste dans leur chair un peu de cuir, de poil, de peau, d'écailles et de plumes de ce qui fut avant...

Ecoutez leurs poèmes...

Ils disent l'enfance du monde et la première ronde que la Grande Roue entraîne...

Ecoutez comme s'écoute la vague roulant sur la grève...

Ecoutez comme bat le jeune cœur de votre premier enfant...

Ecoutez, longuement, patiemment, le doux feu couvant sous la cendre du temps...

Ecoutez la pluie tombant sur la feuille verte du printemps,

Le rire de la jeune fille derrière le buisson ardent...

Ecoutez, cela ruisselle dans votre sang, s'écoule dans vos rêves, dans votre poitrine, se répand...

Ecoutez le profond de leurs chants, buvez à leur fontaine...

buvez l'eau souveraine, soyez-en renaissants !...

A suivre....