Les dits du corbeau noir

MICHEL LE BRIS UN HIVER EN BRETAGNE EXTRAITS ET NOTES BRAN DU 2019 12 12 DECEMBRE

 

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 Photo  Bran du

 

 

 

 

Michel Le Bris Un Hiver en Bretagne Points éditeur P 369

extraits et notes de lecture Bran du

 

 

(Michel le Bris est le créateur en 1990 à St Malo du Festival « Etonnants Voyageurs » qui se renouvelle chaque année avec le succès que l'on sait.)

Il a publié aux Editions Artus (Publication du Centre Arthurien de Comper)

1985 : Ys dans la rumeur de la vague

1991 : Au vent des Royaumes

1985 : Ecosse – Highlands et Islands...

 

Lire également : La Beauté du Monde / L'Homme aux Semelles de Vent...

 

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extraits :

 

 

On aurait dit (après l'équinoxe de septembre), dans la solitude retrouvée de l'automne libéré de l'agitation des foules estivales, que l'espace reprenait ses véritables dimensions – et nous avec lui...

 

Et l'on aurait dit en cet instant que le temps lui-même retenait son souffle...

 

Mais, pour l'heure, on dirait que chacun – jusqu'au paysage – étourdi encore par les tumultes de l'été – n'aspire qu'à reprendre ses esprits...

Le silence, ce n'est pas l'absence de bruits, le blanc d'un « rien », non, le silence est peuplé de mille sons. Il vit et nous éveille... Le silence, simplement, c'est la disparition du brouhaha, du bruit de fond de ce qui rend à chacun les êtres et les choses informes, indifférenciés...

 

Est-ce que cela m'ouvrait au grand poème du monde ?

 

Tout explose, tout s'embrase, dans un chatoiement incroyable de couleurs – rien que la fraîcheur d'un matin clair dans la baie de Morlaix, et j'aurais juré pourtant qu'en cet instant-là précisément c'était l'univers entier qui s'offrait à moi, pour la première fois...

 

Il me semble n'avoir voyagé au plus loin que pour retrouver, tout le reste oublié qui nous empêche de voir (…)

 

les émerveillements de mon enfance, cette ivresse légère de se sentir tout à coup traversé, le temps d'un éclair, le temps d'une fraction d'éternité, par le poème du monde...

 

Voilà qu'aussitôt je l'entends, cette note accordée à moi seul, qui longuement résonne dans les lointains et m'appelle... Voilà qu'une nostalgie me prend, à me dévorer l'âme, de royaumes en allés qui me seraient Bretagne...

 

Vibrant aux rythmes du monde sans la moindre distance...

Un peu à la manière dont une note de musique qui vous prend par surprise, et vous bouleverse, dont vous jureriez sur l'instant que vous l'entendez pour la première fois, éveille au plus secret de votre mémoire de lointains échos ; il fallait donc bien qu'elle fût en vous, déjà, pour que vous l'ayez ainsi reconnue, avec cette poignante intensité comme si votre âme toute entière s'y trouvait engagée...

 

L'intensité de ma présence au monde ne l'avait été qu'à proportion d'un sentiment d'exil tout aussi vif et troublant...

 

 

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Est-il seulement quelqu'un capable d'habiter un lieu, de le réduire à sa merci, de le dissoudre en lui ou bien n'est-ce pas plutôt le lieu qui vous habite, s'empare de vous à mesure qu'il se révèle, vous envahit, comme un liquide qui désaltère ?...

 

L'entrée en humanité s'inaugure toujours ainsi, d'un face à face avec autrui...

 

Comment se peut-il que, dans le chaos indifférencié de la matière, quelque chose puisse s'imposer à nous comme un « lieu » ?

 

Observez les insectes, la monstrueuse stupidité des insectes, leur inconcevable cruauté, et vous doutez bientôt de la création – mais les humains ont-ils grand chose à leur envier ?

 

Il me semble bien reconnaître (…) qu'il y a ici bas, malgré tout, quelque chose comme de la beauté. Et il se pourrait même qu nous n'ayons que cela à opposer aux ténèbres, aux puissances du chaos : accueillir en nous la beauté du monde, la prolonger, et peut-être même y ajouter – ce miracle par lequel un espace indifférencié, dans le tumulte du monde, apparaît pour chacun comme un lieu...

 

Par quelle aberration décrit-on l'hiver comme le temps de l'ennui, des jours gris, des heures sans fin, des murailles de pluie ?

La pluie qui ne dure jamais, vite chassée par le vent, est ici une promesse : des lieux déchirés, des traînes superbes, des rais de lumière à vous damner. Et l'hiver est d'abord le temps de la clarté (…) Le paysage s'allège, s'aiguise, jusqu'à devenir pur poème de vent et de lumière...

 

 

 

 

 

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Étonnant comme un simple changement d'angle modifie la vue, bouleverse les repères, oblige à de nouvelles découvertes...

 

Le rivage serait selon le romantisme un lieu privilégié à la découverte de soi (Alain Corbin L'invention du « paysage »)

« Le rivage : le lieu de la découverte anxieuse de la surprenante réalité des êtres qui le peuplent. » A Corbin

 

 

Ceux des miens (…) ils avaient une âme, et des rêves et ont laissé des traces, récits, chants, textes pour qui le veut...

 

Est-il quelque chose de plus beau, de plus poignant que le jour qui meurt sur la mer ?

Trop fragile, je le sais bien, est la beauté du monde, et trop effrayante la bêtise humaine pour que durent les miracles...

 

 

 

 

 

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Aussi goûtons-nous jusqu'à l'ivresse chaque instant de bonheur gagné sur leur bêtise avant l'inéluctable catastrophe...

 

Ce n'est pas la mer qui se retire, dirait-on, qu'un monde qui sort des abysses devant-nous...

 

Dans les algues chantonnaient les fées Morgane, gracieuses – qui osera demain les suivre en leurs villes englouties ?

 

Une mouette tournoie dans le ciel. Des nuages glissent vers les Roches Jaunes, s'effilochent en écharpes...

Je ferme les yeux. Oui, ce devait être ainsi au premier jour de la création...

 

Changer d'idées, changer de peau, et que nos « contextes » oubliés, ne serait-ce qu'un instant, une fraction d'éternité, le monde nous soit donné de nouveau dans sa fraîcheur première, dans son étrangeté – et avec lui notre regard...

Ce qui compte vraiment, où l'on retrouve son âme et communie avec plus grand que soi : la marée...

« Pêcheur à pieds on reste jusqu'à la mort. »

En tant que membre à part entière de l'ordre des « coureurs de grèves »...

 

 

 

 

 

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Une langue faite de vagues et de vents, une langue comme une aile d'oiseau...

 

Se libérer, tous les codes abolis, de l'ordinaire des jours...

 

En la mer (…) effrois et merveilles s'échangent continuement, se répondent, se confondent...

 

La mer ne nous-est-elle pas aussi un miroir où apprendre à lire nos espaces intérieurs ?...

 

Cette « âme immense » selon Victor Hugo où se lient et s'épouse l'infini des abysses et celui du ciel ne nous fascine, nous épouvantent et appellent que parce qu'en eux notre âme se retrouve parfois – et se découvre...

 

Le rituel de la grande marée ne ferait jamais, en somme, que de retrouver et explorer son âme, en son mystère et ses puissances...

 

A Morlaix, il y avait des marchands qui découvraient sur les quais de Bruges ou de Dantzig d'autres manières d'être et de penser. Ce ne sont pas seulement des richesses matérielles qu'ils ramenaient de leurs voyages, mais une idée plus grande de la vie, des horizons plus vastes, d'autres lumières...

 

D'où nous vient cette « Note bleue » qui résonne en chacun de nous  tous autant que nous sommes ce soir au Ti Coz au seul mot de « Nord » ?...

 

Il faut croire à l'esprit des lieux...

 

On s'enrichit, dans tous les sens du terme, de la diversité du monde...

L'âge, les sources du quotidien, nous exilaient du temps du mythe pour nous tenir prisonnier de l'Histoire...

 

« Pourquoi ai-je tant cherché, ma vie durant, les paysages du Nord ? »

 

Comme si ma vie s'agrandissait de s'enfoncer dans les vastitudes du « Willderness ». (Le monde sauvage et premier non pollué par l'homme.)...

 

La connaissance des vents n'est-elle pas le premier lien tissé, presque charnel, avec le lieu où vous vivez ?

 

Ici, il vous faudra, de gré ou de force, apprendre à vivre avec le vent...
Nous habitons le vent, nous vivons au cœur d'un cœur de vent...

Le vent est un dieu capricieux et cruel, mais moins décidément que la bêtise des hommes...

 

Le vent : tous les mythes le donnent comme une force mâle, puissance d'enfantement...

 

Peut-être la neige est-elle simplement ce qui circule entre les éléments et qui les lie, pour en faire une demeure – soit la définition même de l'imaginaire – dont elle serait comme la substance ?...

 

 

 

 

 

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La conjonction de la lumière et du silence et l'une des rares images de l'éternité inscrite dans notre psychisme ; elle renverrait en somme à notre propre lumière, et au silence qui, en nous demeure. Autre manière de dire que ses paroles sont celles-là même de nos enchantements...

 

Oui, je suis de ces paysages, de ce rivage où sans cesse s'affrontent terre et mer et se nourrissent l'une, l'autre...
Je suis de cet estran....

 

Nos Bretagnes, nous sont toujours intérieures...

 

Un lieu, en somme, ne serait que du vent, autrement dit une âme....

Rien que le bruit du vent dans la baie de Morlaix, toute la beauté du monde....

 

« Le monde est parcouru de lignes de chant, soutiennent les aborigènes australiens, que chacun doit parcourir et reparcourir sans cesse et sous ses pas, en écho à son chant, chaque chose nommée, oiseau, plante, roche, alors s'éveillera, mais, que le monde cesse de chanter, et le monde, à coup sûr, cessera d'exister. » Le Chant des Pistes Bruce Chatwin

 

Une très vieille légende prétend que lorsque les Gaëls envahirent l'Irlande, le peuple féérique des Tuatha Dé Danann déplaça simplement son royaume : du visible il glissa vers l'invisible. Voilà bien des semaines que je repense à cette légende, tandis que j'essaie de comprendre ce qui me ramène à ce coin de rivage ; de ressaisir un peu de l'esprit, de l'âme de cette baie, de ce qui, pour moi, en fait vraiment un « lieu »...

 

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Notes Bran du

 

« Toute la beauté du monde

dans l'ondoiement des ondes ;

qu'elles soient de terre ou de mer,

Toutes les forces, même les plus sombres,

sont invitées au grand bal de la Lumière. »...

 

« Quel son d'enclume résonne dans les forges de notre âme ?... 

Celle du marteau céleste frappant le fer de la terre ?

Et la mer n'est-elle pas cette frappe plus que millénaire qui façonne les rivages de ses lames aiguisées et tranchantes ?

L'océan est un cuveau où brasille lune et soleil, où s'enflamme le poème en ses paroles de feu et d'eau. »...

Bran du

 

Michel Le Bris, dans une écriture digne des lignes ondulées des grèves armoricaines, soeur de ces ruissellements d'après marée, nous dépeint l'infini mouvant et émouvant des estrans de l'Esprit, nous mène aux lisières où se conjoignent sable et écume, en ces « lieux » d'alternances et de conjugaisons qui sont territoires de l'âme et sur lesquels les vents font leurs tours de rondes...

 

La Baie de Morlaix, le village de Treourhen, sont le théâtre de manifestations qui sont autant de signes de l'anima d'un « vivant » qui interpelle nos sens et notre intelligence...

Ce sont portes qui ouvrent sur des questionnements essentiels et sur notre royaume intérieur...

 

Nous y retrouvons « l'appel mythique du Nord », l'invitation a arpenter un « monde blanc » dans lequel toute écriture se dilue afin de retrouver sa blancheur, sa « transparence » initiale...

 

Les divers récits qui se succèdent sont l'évocation d'une mémoire, fidèle gardienne des premiers rapports qu'un enfant instaure avec le monde qui l'entoure et qui l'imprègne de ses formes les plus prégnantes, de ses vibrations les plus subtiles, de ses senteurs les plus tenaces... C'est le récit de ces transfusions qui plus tard donneront, mieux, restitueront, un sang vif à l’œuvre de création...

 

Ce sont aussi des événements historiques qui relatent l'existence d'une cité portuaire et de ses évolutions au cours des siècles et le rappel des fortes personnalités qui ont donné à celle-ci un caractère spécifique et fortement marqué, empreint d'audace et de volonté peu courantes, granitiques pourrait-on dire...

 

Ce sont quelques rares femmes et de nombreux hommes, tous « Potred kallet an Arvor » (Des hommes durs de l'Arvor) au destin remarquable pour la plupart et qui sont autant de fleurons obstinés brodés sur la bannière de la ville de Morlaix...

 

C'est un surprenant et bien prenant album de souvenirs que l'on feuillette ici avec étonnement et découvertes, et ce, sans omettre tout l'accompagnement « géo-poétique » et philosophique qui en ourle et enlumine les pages...

 

Ce sont là les expressions d'un « arpenteur et coureur de grèves » ; une confrérie particulière dont mon enfance a fait également intégralement partie et qui se perpétue en écho et résonance avec cet excellent auteur qui m'en remémore l'inaltérable empreinte...

 

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Echos et résonances Bran du

 

J'ai juvénilement arpenter, de long en large et de large en long, le sable d'or, le sable blond, de mes grèves costarmoricaines qui furent sans aucun doute le lieu d'éclosion d'un sentiment prématurément, mais durablement « amoureux » et reconnaissant...

 

La mer, la grève, les vagues, la marée, l'écume... autant de prénoms essentiels portés par un fabuleux féminin qui s'offrait à moi dans sa nudité immense autant que je m'offrais pleinement à lui dans l'innocence de mes toutes jeunes années...

 

De nombreuses plages côtières s'appellent « le lieu des grèves » et il y a lieu de souligner combien cette dénomination est rigoureusement exacte car cette grève donne lieu à toutes les rencontres, découvertes et révélations... Ceci parce que ce lieu est lien et que ce lien a lieu !.... Et ce lieu est un nœud de libre et volontaire attachement !... Il faudrait lors parler de « cosmunions » dans une primordialité d'entendements, de cohérences, de convergences et d'offrandes mutuelles...

 

Chaque pas fait sur la grève est un labour dont les emblaves sont semences de rêves et graines de poèmes...

 

Les bardes, anciens et primitifs, s'y rendaient régulièrement pour y recevoir l'écume d'inspiration, le souffle puissant et salé de l'Awen...

 

C'est de cette rumeur millénaire et voluptueusement sauvage que jaillissent les chants, ceux des profondeurs, comme ceux des élévations...

 

Sang, sève et songes s'y entremêlent au temps des équinoxes d'automne... Et c'est cantiques en fusion !...

 

On ne saurait mettre pieds sur la grève sans y mettre cœur...

 

Nos plages ont vertus sourcières, les arpenter nous régénère, nous revitalise, nous délave d'une urbanité qui ne sait qu'exalter la laideur, l'artifice et l'illusion...

 

Tout cela ; toute cette bordure, toute cette frange océane (océâme)

reconstitue pour nous cette marge par laquelle se tient le « cahier du monde »... Un cahier auquel il nous appartient de restituer une écriture de sel, de vague, d'embruns, de crachins et de vent...

 

Le ciel, l'horizon, et l'étendue océane... Avec, quelque part une île ; une île merveilleuse dont la carte du trésor enfouie en son sein nous dira celle qui a prit, il y a fort longtemps, sa latitude et sa longitude parmi les méandres émeraudes et houleux de notre propre cœur...

 

 

Bran du      Décembre 2019

 

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12/12/2019
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