Les dits du corbeau noir

ACTES DU 4E COLLOQUE DU FEMININ ET DE LA SOCIETE CELTIQUE : BERNARD SERGENT 18 11 NOVEMBRE

 

Actes du 4è colloque :

De la place de la Femme dans la société et la religion celtique :

Bernard Sergent

 

Préliminaires :

 

 

Bernard Sergent est historien, archéologue, chercheur au CNRS, Président de la Société Mythologique Française.

Il a publié de nombreux ouvrages et de très nombreux articles y compris dans la revue Keltia magazine (au sujet des femmes celtiques célèbres) et celle de la Société Belge d'Etudes Celtiques (Revue Ollodagos)...

Il organise avec sa société (Basilis) des conférences et des voyages

sur des thèmes historiques, mythologiques...

 

 

Parmi les nombreux ouvrages publiés :

 

1991 : Connaissance du monde contemporain

1995 : Les Indo-européens

1997 : Genèse de l'Inde

1999 : Celtes et Grecs

2016 : Jean de l'Ours, Gargantua et le dénicheur d'oiseaux

2017 : Dictionnaire critique de Mythologie...

Différentes études sur l'homosexualité dans l'antiquité, la formation des jeunes guerriers etc...

…...............

 

 

 

Conférence du 11 11 2018 :

 

Lorsque l'on étudie la famille linguistique Indo-européenne on constate que c'est la mieux définie qui soit...

(Elle s'étend de l'Irlande au Bengale)...

Il est intéressant de l'utiliser comme un laboratoire...

 

On peut observer dans ces laboratoires des pays de langues indo-européenne, entre Orient et Occident de ce fait, nombre de points communs, mais aussi des différences... (On notera entre autres des similitudes entre la fonction druidique et celle du Brahman.)

 

 

Le sujet d'aujourd'hui amène surtout à constater des différences notables et remarquables lorsqu'on regarde le statut de la femme celtique, celle-ci fait l'objet d'une originalité totale dans le monde Celte quand on la compare à sa place dans les autres pays indo-européens...

 

 

Je ne vous dirai pas que chez les anciens Celtes qu'il y avait une parfaite égalité ni non plus que le « matriarcat » régissait cette société, car cela n'aurait aucun sens et, pour la notion de « matriarcat » ; celle-ci étant un mythe scientifique récent n'a fait l'objet d'aucune vérification...

 

 

Chez les Celtes, et seulement chez les Celtes, il y a une « étroitesse » dans la différence entre le féminin et le masculin que l'on ne retrouve pas ailleurs dans les autres pays indo-européens...

 

 

Je vais aborder 3 critères d'étude et d'analyse :

 

1 / Les Reines...

2 / Les Femmes héroïques

3 / Les Femmes qui sont maîtres de leur destinée et aspirations y compris sexuelles...

 

Qu'est-ce que c'est que notre connaissance du monde celtique ?

Deux domaines de références :

1 / Les sources archéologiques...
2 / Les littératures (Grecques et Latines qui parlent du monde Celte.)

 

 

(Les Celtes n'ont pas souhaité mettre quoi que ce soit par écrit.

L'écriture, connue des Celtes et surtout des druides, faisait l'objet d'un tabou de la part de ces derniers considérant en quelque sorte que « la lettre tue et que l'esprit vivifie N.D.R.»

 

De ce fait nous ne disposons que des écrits des observateurs latins et grecs plus ou moins objectifs vis-à-vis d'une société que les autres peuples ne comprenaient pas ! N.D.R)

 

Nous n'avons qu'une connaissance très partielle des Celtes de l'Antiquité...

 

Il faudra se tourner, quelques siècles après, vers les textes insulaires de l'Irlande et du Pays de Galles pour disposer enfin de textes écrits par les Celtes eux-mêmes et mieux connaître le monde celtique...

 

Un constat : Les données antiques qui parlent des Celtes concordent avec les données insulaires...

 

 

Des reines celtiques dans l'Antiquité :

 

Ces femmes sont reines tout simplement parce que leur mari était roi et qu'elles ont succédé à celui-ci à sa mort...

C'est un fait unique dans le monde indo-européen.

Quand un roi meurt dans les autres sociétés indo-européennes on cherche un successeur exclusivement masculin (fils, frère, oncle, neveu...)

 

Deux reines celtiques de l'Antiquité :

 

Chiomara, reine Galates et Boudicca, reine des Iceniens

Boudicca est devenue reine à la mort de son mari. Ce qui est en effet exceptionnel «  un fait unique », par rapport aux autres sociétés indo-européennes...

(Contrairement à ce que dit Bernard Sergent ce n'est pas a priori le cas de Chiomara épouse de Ortiagon. N.D.R)

 

Le conférencier rapprochera ces deux reines de l'Antiquité à la reine irlandaise et insulaire Medb...

 

On passe en Gaule :

 

Les « Princesses de l'âge d'or Celte » sont évoquées et notamment la Dame de Vix, morte à 16 ans, et enterrée dans un tombe fastueuse et luxueuse comportant une grande richesse (laquelle tombe n'a pas de beauté équivalente dans celle des princes Celtes)...

 

Toutefois on ne sait pas si réellement cette princesse était ou non une reine gouvernant un peuple ou une fille ou épouse de chef ou de roi, une prêtresse, ou encore une commerçante ayant su mener au succès son affaire !

 

Et on revient sur l'Asie Mineure :

 

Plutarque dans son livre sur la vertu (ou force ou importance) des femmes relate des histoires liées aux femmes grecques et romaines et (ce qui est déjà extraordinaire pour un observateur Grec) donne trois modèles remarquables de femmes Celtes :

 

Il évoque les femmes Galates (des Celtes qui créèrent trois royaumes en Asie Mineure sur l'emplacement de la Turquie actuelle) (les Galates sont dotés d'une sorte de confrérie guerrière.)

 

Et on se tourne vers la littérature galloise :

 

Avec 3 femmes célébrées, héroïnes et maîtresses de leurs choix, dans les récits insulaires :

 

Rhianon ( sans doute une ancienne Epona)

Branwenn sœur de Bran (Voir mes réserves à ce sujet. NDR)

et Blodeuwedd (Epouse de Lleu (Lug)

 

 

Des personnages que l'on trouve dans les Mabinogion ou dit encore les Quatre Branches des Mabinogi (ouvrage fait, à priori, pour l'éducation des jeunes disciples ou « marcassins ! NDR)...

 

C'est un manuscrit tardif mais dont la « matière » mythique est extrêmement ancienne et remonte aux anciens dieux et anciennes déesses...

 

En Irlande, les héroïnes Celtes sont légions ; elles sont guerrières, liées à la magie et aux métamorphoses... Il n'y a que l'embarras du choix... Un tel panel de femmes héroïques est également exceptionnel par rapport aux autres littératures indo-européennes...

 

On ne trouve nulle part ailleurs une telle importance accordée aux femmes... (ni en Grèce, ni aux Indes, ni chez les Romains...)

 

 

Partie 3 : la plus développée selon le conférencier :

 

Les femmes maîtresses de leur destin, libres de leurs choix surtout dans les rapports entre le féminin et le masculin...

 

Le simple fait que l'on puisse parler et évoquer ces femmes dans le monde celtique est déjà exceptionnel au regard es autres peules Indo-européens...

 

(Il y a des homologies entres les femmes Celtes dépeintes dans l'Antiquité et celles décrient dans les textes insulaires gallois et irlandais.)...

 

 

Bernard Sergent évoque à titre d'exemple comparatif le viol d'une femme :

 

 

Chiomara est une reine Galate qui est faite prisonnière par un centurion romain à la fin de la bataille. Ce centurion la viole...

Des délégations galates et romaines se rencontrent pour négocier la paix.

Le délégué Galate est le roi Ortiagon et celui de Rome le centurion violeur. Chiomara, qui accompagne son mari lors de cette rencontre, emporte avec elle un poignard qu'elle dissimule sous sa robe et elle tue le centurion en expliquant à son mari qu'il ne saurait être deux hommes vivants à l'avoir possédée...

 

 

Autre exemple, mais romain celui-là : le viol de Lucrèce par un ami de son mari et ce à la suite d'un pari stupide...

Lucrèce attend le retour de son mari et se tue devant lui (sous entendu : c'est à toi mon mari devenu veuf maintenant de me venger !)...

 

Il y a là un contraste total et saisissant entre les deux attitudes...

 

Dans le monde Grec, le viol est très fréquent (Zeus pour ne parler que de lui !), mais dans le monde Grec, vis-à-vis d'un tel événement, il ne se passe rien, on se fout totalement du sort de la femme ; circulez , il n'y a rien à voir !...

 

L'attitude celtique est exceptionnelle vis-à-vis des Grecs ou des Romains...

 

 

Si on prend la reine Medb (une femme mariée) et sans doute la reine la plus connue de toute l'Irlande, celle-ci affirme : « Je ne suis jamais sans un homme dans l'ombre d'un autre »...

et elle ne manque pas de mettre cela en action en ayant de nombreux amants dont Fergus...

 

C'est là un adultère manifeste, mais qui ne semble offusquer personne, car il trouve une forme de justification pourrait-on dire dans le cadre mythique du récit et non plus sociétal et moral. NDR

 

 

L'exemple de Blodeuwedd :

 

C'est une femme mariée. Son mari s'éloigne de son domicile conjugal pour aller saluer son roi...

Un chasseur qui vient de tuer un cerf passe et demande une hospitalité qui lui est accordée. Ils se mettent tous deux à table et dit le texte : « Il n'y eu plus un élément de leur corps à chacun qui ne fut attiré par le corps de l'autre. »

Le soir même ils font lit commun...

 

Ces deux épisodes sont incomparables en dehors du monde celtique...

 

A noter que tous les récits insulaires celtiques sont écrits par des hommes et qu'il n'y a qu'eux pour décrire cela, car ce n'est jamais le cas ailleurs ; aucun romain, grec ou autre écrivain indo-européen n'aurait écrit et décrit de telles situations !...

 

Que la femme ait ou non du désir sexuel, il n'y a que les Celtes pour en faire état ; ailleurs, « on s'en balance » nonobstant que l'on considère l'adultère comme un acte grave...

 

 

Nous revenons à Plutarque et à son ouvrage :

 

Une reine Galate ne peut avoir d'enfant . (Dans l'Antiquité c'est toujours la faute de la femme jamais de l'homme.)

L'épouse du roi lui dit de faire un enfant avec une autre femme...

Aujourd'hui, c'est banal mais dans l'Antiquité cela ne l'est pas et si Plutarque relate ce fait c'est justement parce qu'il ne relève pas de la banalité.

 

 

Nous repartons vers le monde insulaire :

 

Il s'agit encore une fois d'un récit qui démontre la capacité des femmes à prendre en main elles-mêmes leur destinée et leurs aspirations :

C'est l'histoire d'une fille dont Bernard Sergent ne se rappelle plus le nom, mais fille de roi à priori, qui sachant que son père va livrer une rude bataille avec ses quatre fils entrevoit la mort de ceux-ci. Elle décide de coucher avec chacun d'eux successivement la veille du combat. Effectivement ses quatre frères sont tués.

Elle a été fécondée et met au monde une enfant dont les traits seront empruntés aux quatre frères...

C'est là un inceste manifeste réalisé volontairement et en pleine connaissance de cause et, pour tout le monde indo-européen, c'est inconcevable voir scandaleux...

 

 

Autre exemple extrait de la quatrième branche des Mabinogi gallois :

 

Un jeune roi se rend le matin sur une colline assez mystérieuse et« mystique » pourrait on dire appelée Harvest.

Il voit passer une femme allant au pas sur son cheval.

De même le lendemain et le surlendemain..

La quatrième fois le jeune roi pense que ce ne peut être un hasard et monte sur son cheval pour la rejoindre au galop, mais la cavalière va toujours au pas et le jeune roi lancé dans la course ne peut cependant la rejoindre... Il finit par lui dire quelque chose comme « hé attends-moi ! » ; la femme se retourne et lui dit : « Mais pourquoi tu ne m'as pas parler avant ? »

Jamais un Grec ni un Romain n'aurait écrit une telle chose !

 

 

L'exemple un peu différent de Branwen une galloise qui a épousé un roi d'Irlande :

pour une raison « X » « le mariage ne va pas »...

(Rien que cette mention montre qu'il n'y a qu'un Celte pour écrire et formuler cela ! Ailleurs, la femme s'écrase et c'est tout ce qu'on lui demande.)

 

Etant maltraitée à sa cour, elle envoi un étourneau à son frère Bran pour lui compter son malheur. Celui-ci vient lui porter secours avec son armée et gallois et irlandais s’entre-déchirent si bien qu'il ne reste que 5 survivants gallois à la fin des combats.

 

Une dame non contente de son mariage et qui fait intervenir son frère est une situation spécifique au domaine celtique...

 

 

Notes Bran du :

 

Il me semble important de repréciser l'histoire de Branwen qui ne me semble pas particulièrement « maître de son destin ni de ses aspirations », mais qui ne fait qu'appeler son frère à son secours tant sa situation est devenue intolérable...

 

Cet épisode malheureux relaté dans la deuxième branche des Mabinogi gallois est la résultante directe d'un personnage appelé Efnissyen, frère de Brân, qui, parce qu'il n'a pas été consulté sur le mariage de Branwen avec le roi d'Irlande Matholwch va tout faire pour rompre celui-ci.


Il mutilera les chevaux du roi d'Irlande allié régulièrement à Brân

et jettera dans le feu l'enfant du roi et de la reine (Gwern) ce qui déclenchera l'épouvantable combat final.

 

Branwenn mourra à son retour en Brittonie et la tête de Bran, tué au combat » sera ramenée par les survivants après un périple bien étrange sur la colline de Londres où elle veillera sur le pays tant qu'elle y demeurera inhumée...

 

Au départ ce mariage se présente très bien et satisfait tout le monde y compris Branwen, mais pas Efnissyen et celui-ci sème la zizanie par un acte très agressif envers le roi d'Irlande...

 

 

Brân tente de réparer cette action et de renouer l'amitié initiamle avec les irlandais en leur offrant un chaudron de résurrection..

Mais le second acte odieux d'Efnissyen provoquera la tuerie finale même si ce dernier se jette dans le chaudron pour le faire éclater...

 

Les agissements d'Efnissyen auront pour effet de faire monter les griefs contre Branwen et les barons du roi d'Irlande finiront par convaincre celui-ci qu'il a fait un mauvais choix alors qu'il semble bien amoureux et respectueux de sa Dame au départ et Branwen de même...

Ce sont donc ces « intrigues » malveillantes qui mettront à mal le couple et non le couple originel en tant que tel...

 

Pour ces aspects je pense que cet exemple n'est pas vraiment une illustration adéquate parmi les autres démonstrations du « particularisme celtique » par rapport au statut si particulier, singulier, unique et spécifique de la femme Celte.

 

…....................

 

 

Dans le droit celtique, on trouve, entre autre, au sujet des femmes, des choses sans similitudes ailleurs dans le monde indo-européen...

Par exemple au Pays de Galles, il existait « légalement » un mariage à l'essai d'une durée d'un an, durée au bout de laquelle les mariés faisaient leur bilan pour poursuivre ou non leur union...

 

Par ailleurs en cas de rupture (divorce), l'un ou l'autre exposait ses biens « meubles » en disant : voilà j'ai amené et je possède ceci et cela à toi de choisir ce que tu veux...

Cette « égalité » entre homme et femme dans un processus équitable ne se rencontre nulle part ailleurs...

 

 

On va faire maintenant des « hypothèses » :

 

On va chercher d'où cela vient, d'où peut venir ces notions spécifiques au monde celtique  par rapport aux autres sociétés indo-européennes ?

 

Mon opinion : cela existe parce que les Celtes sont des « conservateurs »... D'autres sociétés indo-européennes ont pu connaître à l'origine des faits semblables, mais elles ont évolué autrement...

Pour preuve les quelques indices en ce sens rencontrés ici ou là...

 

Plutarque fait par exemple état de femmes Celtes organisées qui s'interposent entre les combattants pour faire cesser le combat...

(Certains peuples Celtes demandent l'avis des femmes avant de décider de la guerre et leur avis est suivi !N.D.R)

 

Chez les Romains, on a un exemple identique d'intervention de femmes organisées pour mettre fin à une guerre ; c'est celui des Sabines enlevées par des Romains lors de la première guerre de Rome, lesquelles sont mariées à des Romains et en ont des enfants...

Les Sabins mettent du temps (plus de neuf mois) à réagir avant que de se porter au devant de l'armée de Rome pour en découdre, mais, les femmes s'interposent et empêchent le combat. Mais cet événement, ce fait social, est fort ancien dans l'Histoire de Rome et ne se retrouve pas plus tard...

 

 

 

Pour répondre à une question de Claudine Glot, à savoir s'il a existé dans le monde Grec des femmes guerrières initiant des futurs guerriers, Bernard Sergent cite le cas d'Ariane initiant en quelque sorte Thésée et sans laquelle celui-ci ne serait pas sorti vivant du labyrinthe...

 

Mais cet exemple relève du mythe Grec très ancien et n'aura pas d'équivalence par la suite dans les récits Grecs alors que dans le monde Celte la position unique et inégalée de la Femme est toujours présente de siècle en siècle.

 

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Bernard Sergent, spécialiste de la méthode comparative appliquée aux mondes indo-européens, démontre donc la constance de ce particularisme du statut, du rôle, de la place, des fonctions du « Feminin » au sein du monde celtique alors que tout cela diffère complètement des autres sociétés...

 

Ce trait et cette conception si particulière est l'un des nombreux attraits qui font du monde Celte un monde avec lequel on entre encore de nos jours, en vive sympathie...

 

Et la féminité moderne à tout à « gagner » à explorer cette spécificité unique afin d'en tirer des enseignements que certaines femmes contemporaines, traditionnellement engagées, mettent déjà en pratique tant au service d'un féminin plus conforme à leurs vœux et légitimes aspirations qu'au service de la vie elle-même et de son meilleur devenir.



17/11/2018
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