Les dits du corbeau noir

LES DITS DU CORBEAU 2000/2017 BRAN DU (SUITE) "AREMORICA" L'INITIATION BRAN DU 29 05 MAI

AREMORICA....

 

Il ne savait plus qui il était vraiment. La veille et l'avant veille, à même son lit de fougères, il avait retourné toutes les questions dans sa tête.

 

C'était une nuit de pleine lune et celle-ci laissait passer à travers la hutte de branchages l'empreinte de sa mystérieuse présence.

Le vent était parti boire là-bas, au bord de l'océan.

Pendant cs dernières quarante huit heures il avait senti, confusément, que quelque chose se passait en lui qu'il ne savait pas encore expliquer ; une sorte de mutation interne, un ensemble d'opérations complexes d'où jaillirait, il en était certain, une nouvelle vision des choses, des êtres et du monde, un nouvel élan existentiel...

 

Il sentait frémir en lui comme une vitalité nouvelle, des motivations, des stimulations porteuse d'une respiration plus ample, plus souple, plus « arrondie », plus dense et intense...

 

Depuis sept jours maintenant qu'il baignait dan cet immense chaudron végétal ; il se sentait « pousser des branches ».

Un sève nutritive irriguait son sang et ses sens.
Un autre homme perçait sous la vieille écorce...

L'instant approchait de cette mise à jour de tant de luttes nocturnes. Il était l'artisan conscient et motivé de cette métamorphose qui s'opérait en osmose avec son désir et les claires virtualités d'une pensée élaborant son miel et sa résine, son suc et sa flamme...

 

Retiré du monde ordinaire, il s'était accordé, en tant qu'instrument de sa propre réalisation, à cet environnement choisi, élu, par lequel une sorte de miracle se prédisposait à survenir. Il fallait pour cela se retirer des flux urbains, du champ humain de la communication et de l'échange pour trouver la vraie disponibilité qui vous fait compagne du silence, oeuvrier en solitude...

Il lui fallait ce bain véritable sensations aiguisées par les senteurs d'humus, par les cascades de lumière dévalant des coulées du ciel et des rus forestiers....

 

Il se sentait enceint de toutes les forces agissantes sous l'orbe des feuilles . Mille présences amicales circulaient en ses songes et en ses veines. Il cheminait immobile sur les routes perceptibles qui lui donnaient le seul et unique rendez-vous que puisse attendre et espérer un homme.

Chaque arbre portait témoignage de cette volonté par laquelle il se dressait lui aussi dans une commune verticalité faisant ce même vœu de pénétrer l'azur au plus profond de ce bleu aussi immense que l'Amour, aussi pur que le bleuté de la glace, aussi rêveur que le songe bleu de la nuit.

 

Il fallait tout l'insolite, tout l’inhabituel, toute l'étrangeté d'un univers dont il avait tant de fois hanté les lisières pour pouvoir plonger enfin au cœur même de cette attraction circulaire appelée une clairière...

 

La voûte des vieux chênes préfaçait l'ouverture d'un livre dont chacun de ses pas constituait une enluminure, une spirale dansante, une phrase encore insoupçonnée dont il serait, assurément, indéniablement, l'expression la plus vive du Verbe souverain...

 

Cela était si simple de mourir ici à soi-même, de laver un passé obscur et encombrant enveloppé de suie et de cendre, de nettoyer tout cela à l'eau courante des collines et de donner des ailes puissantes et légères à un corps sevré d'élans et d'envols...

 

Chaque bruissement de vie, toutes ces complicités conjointes, toutes ces inclinaisons réunies, invitaient à rompre, à consommer la rupture avec le fallacieux, le superfétatoire, le dérisoire et le pernicieux esclavage qu'engendrent le besoin de posséder, le pouvoir et la puissance de vouloir tout dominer et tout s’approprier de ce vivant qui courre nage, vole, songe et œuvre au sein des cycles évolutifs et alternés de l'Univers...

 

Il ne subsistait, en ce lieu d'élection et de renaissance, plus rien de cette engeance, de cette emprise, de ce licou de peur et d'ignorance... Il n'était plus alors que le lent, le vif, le limpide, l'odorant et le coloré déroulé des saisons d'essentialité, de primordialité et d 'importance ; qu'un ruissellement de vie sur des lèvres offertes et consentantes...

 

Un être nouveau venait à sa rencontre et celui-ci épousait les traits de son visage. Il restait donc à l'accueillir comme l'herbe attend la rosée, comme la terre craquelée attend la pluie, comme l'aimé attend les lèvres sœurs et amantes...

 

Un merle lança sa trille matinale suivi par une myriade de passereaux. Puis, en un même instant, tout redevînt silencieux :

on marchait dans le sous-bois...

 

Il enleva ses vêtements et, nu comme le matin qui se levait, il fit ses ablutions dans le ruisseau qui serpentait au flanc du coteau où il avait installé, sous un houx centenaire, son éphémère ermitage...

Alors que l'eau ruisselait de son front sur sa poitrine il vît surgir un martin-pêcheur qui passa près de lui comme une flèche bleue, rousse et or. Ceci le transporta de joie... Il regagna sa hutte et attendit....

 

Une femme en robe blanche entra sous le couvert feuillu de son abri. Elle lui tendit une saie semblable à la sienne ; saie qu'il enfila aussitôt et sans fausse pudeur...

Elle invita l'impétrant à la suivre vers une clairière dont il avait bien l'intention de passer le symbolique anneau à son doigt d'alliance et de noce...

 

Il se sentait Homme en ce chemin d'humus, rayonnant de jouvence tout en appréhendant fiévreusement l'instant décisif où il apposerait le sceau de sa joie sur le parchemin herbeux et moussu de son propre sacre...

 

Il déboucha sur l'ire où d'autres compagnes et compagnons faisaient Cercle, toutes lèvres scellées aux lèvres de la ferveur et du silence...

 

On lui mit un bandeau sur les yeux et on lui fit faire trois fois le tour du Cercle formée par l'assemblée de celles et ceux qui seraient bientôt de ses semblables par le cœur et par l'esprit...

 

L'Homme et la Femme qui l'accompagnaient dans sa circumambulation avaient posé une main sur chacune de ses épaules et le guidaient dans sa marche lente...

Aveugle pour ce qui était de la direction de ses pas, il voyait de plus en plus clair en lui-même et, bien au-delà de l'avancée hésitante de l'instant.

Il percevait des horizons infinis vers lesquels son cœur et son âme prenaient déjà leur fougueux élan....

 

Il lui semblait flotter au-dessus de l'orbe foulée pour la troisième fois quand on le fit stopper en un point convenu situé au Nord...

 

Une voix grave et posée s'éleva soudain et cette voix se tourna vers lui. Il écouta le Dit de l'Ancien dont chaque mot frappait à la porte de son cœur, au volet largement entrouvert de son ardent désir et de sa pleine compréhension...

 

« -Toute chose qui s'en veut venir au monde se doit d'être nommée. Les Pères ont nommé et leurs enfants nomment à leur tour afin que la forme naisse, qu'elle prenne figure, qu'elle formule le chant et le parfum de sa venue au monde ».

 

« Quel est ton nom enfant de la neuve Lumière ? »

 

Il éleva alors, de la profondeur de son être, la Pierre de Parole et celle-vînt se ficher droite sous le ciel :

 

« Aremorica est mon nom.

C'est ainsi que je fus jadis sur les promontoires de l'Ouest ; Homme de granit regardant la mer, buvant à même la coupe mouvante des flux et des reflux, mes rêves jonglant parmi les arabesques des sternes et des goélands.

Aremorica, tel est mon nom face au couchant de ce monde, face aux îles éternelles.

En l'anse de mon cœur se tient la barque du passeur, l'embarcadère du Ponant, le ponton du Grand Départ...

Les galets qui s'entrechoquent et érodent mutuellement leurs aspérités angulaires pour mieux épouser les roulis du temps martèlent en écho chaque syllabe de mon nom.

Je suis l’œil perçant et solitaire du grand corbeau de mer, je suis la silène en robe de noce convolant aux bras des tempêtes d'équinoxes. Je suis cyclope lançant sa fronde de Lumière, ricochant sur l'Immense...

Je suis hermine, je suis épervier, je suis lapereau, alouette aussi...

Je suis l'ajonc brassant son or dans l'athanor des brumes et des landes...

Je suis le cap, je suis l'aber, je suis l'estuaire, l'anse et la crique...

Je suis la fin des terres d'où s'élance la pointe de mon nom pourfendant le temps et l'espace... Elle se fraye passage à travers les millénaires pour retrouver la vieille sente de nos Pères, la piste blanche du Gwenved …

 

Aremorica, ainsi vogue et vole mon nom vers l'île et l'étoile de douce recouvrance, Aremorica tel est le vaisseau et l'oiseau, tel est mon nom »...

 

Et chacun et chacune de reprendre ce nom à haute voix, de parapher mot à mot cet acte de haute naissance afin qu'il tourne et virevolte dans la ronde fraternelle, de bouche en bouche, en bel éclat de silex et de joie... Ainsi la perle ajoutée glissant sur l'infini collier de l'Amour...

 

Lors le Nom lâché au ciel comme un vol de colombes s'en revînt au perchoir de son être, en sa demeure ultime, comme s'en vient, sous le drapé de lin et de soi, la promise, la fiancée...

 

Lors toutes ses navigations future d'Homme rené se souviendraient des lettres noires et blanches, des broderies de lune et de soleil, de cet oriflamme fouetté par le vent marin faisant flotté un nom frappé d'étoile et d'hermine...

 

AREMORICA !

 

La Femme lui ôta le bandeau en écorce de bouleau qui lui ceignait le front et les tempes. Les yeux soulevèrent leur paupière de nuit et s'ouvrirent sur le lac azuré du ciel....

 

Il se sentit alors auréolé de chaleur et de lumière, couronné par un soleil-roi...

 

La même voix grave retentit de nouveau, flexible et souple comme branche de saule, posée comme un roc face aux marées de l'Histoire...

 

« Je salue ta venue en ce monde, je te salue, toi, le bien nommé et je salue en toi la force libre et la vibration consciente, le fruit délivré de sa gangue, la résurgence arrachée des cachots de l'oubli, l'enfant restitué à sa Mère, le sel revenue sur les grèves d'existence...

Je te reconnais comme Frères et j'aurai plaisir et bonheur à rompre avec toi le pain des jours et des nuits d'amitié.
Ce nom que tu portes à présent et présent offert sur l'autel de la gratitude... C'est le cristal taillé de tes pensées à l’œuvre...

C'est la synthèse, c'est l'accord, c'est la quintessence et leur accomplissement...

C'est le nombre et la géométrie sacrée par lesquelles s'édifie l'édifice de ta Vie...

 

  • « Avance au Frère dans cette Lumière qui te porte au seuil de ta pleine recouvrance, à la margelle des suprêmes entendements...

  • Viens vers moi comme s'en vient l'écume au rivage et l'enfant au sein, comme une brassée de genêts offerte au Tan Tad du Solstice d'été...

  • Viens sous le chêne, approche du pommier, que leur nourriture et riche substance te soient offertes pour rassasier ta soif de beauté, de tendresse, d'honneur, de vérité et de dignité. »...

 

Il s'approcha de l'Ancien et le salua en inclinant le front devant lui ; celui-ci souffla par trois fois sur son visage puis dit :

 

« ...Ce souffle, c'est pour attiser les frémissements de cette voile taillée en tes songes et désirs, pour favoriser tes navigations à venir, pour accompagner tes explorations sur les continents indicibles, pour pousser toujours plus loin l'audace et le défi, pour traverser sans crainte les brumes et les brouillards du devenir. »...

 

« Souviens-toi des Pères de nos Pères ; hardis navigateurs dans les océans du doute et de la peur qui surent porter jusqu'à ton cœur la cargaison de mémoire, les épices de leur propre existence pour aller au-delà des récifs qui parsèment les flots clairs ou sombres des jours et des nuits de ton temps à venir. »...

 

« Jadis, au temps de ta prime jeunesse, près de la maison de ton enfance heureuse, une jeune vierge planta la branche de houx aux calendes d'Imbolc... Elle ne savait pas la destinée de l'arbre planté en terre, nourri d'eau, de soleil et de lumière, mais cet acte préfigurait celui que nous concélébrons aujourd'hui...

 

L'arbre s'est fait bâton et le voici ; il est taillé à la juste mesure, celle de tes vœux et celles de ton pas... Il sera maintenant ton plus intime compagnon... Il t'enseignera la toute. Quand ta main se refermera sur lui il t'ouvrira les sentes des autres mondes et te guidera comme l'étoile dans la nuit profonde de tes questions...

 

Il est le signe et l'appui avec lequel tu affirmeras la libre marche de celui qui va, libre en ses pensées et en ses pas, faire acte de juste Force, de douce Energie et de Vive Lumière...

 

Par lui sera tracé le Cercle des fêtes, des offrandes et des noces. Par lui se fera la paix, la conciliation, la symbiose, entre ce qui est appelé à transcender sa dualité antagoniste...

Il est mouvance et spirale, mais si tu manques à tes serments, il deviendra la morsure du serpent, la brûlure d'infamie, le bouton de laideur, le marais où l'on se perd, irrémédiablement !

 

Sans la Racine tu meurs, sans la Source tu dépéris...

Ainsi du parjure quand la promesse s'oublie....

 

Par ce bâton, il t'appartient de rendre au ciel ce qui appartient au ciel et à la terre ce qui revient à la terre, de Concilier et de féconder Esprit et Matière...

Par lui tu te tiendras au mitan des flux et des ondes, tu harmoniseras les mondes où les dragons s'affrontent...

 

Par lui, te voici porteurs de braises et d'eau !...

 

A toi d'ouvrir et de propager la danse enspiralée et parfumée du chèvrefeuille sur l'Arbre de la Connaissance...

 

La Femme s'approcha à son tour de l'Initié tenant une coupelle à la main ; une coupelle où se tenait l'Eau de lune recueillie dans des cupules d'un mégalithe... Elle tendit la coupe à l'Homme qui porta celle-ci à ses lèvres et bu comme la terre boit l'averse après la saison aride...

 

Puis la coupe circula solairement de lèvres en lèvres dans le Cercle fraternel des assoiffés d'Amour...

 

La Femme se porta de nouveau à hauteur du récipiendaire portant une torche enflammée à la main. Elle bouta le feu au foyer des sept essences et celui-ci jaillit vers le ciel...

Elle prit alors parole et dit :

 

« Il n'est d'Amour qui ne soit né de l'Eau et du Feu, Eau et feu nous enfantent en cet Amour. Soit cette flamme qui prie en dansant vers le ciel et qui s'enroule dans les pas alertes et joyeux des Déesses et des Dieux. »...

 

Portant le brandon à hauteur de son visage elle ajouta :

 

« Eau et feu je suis aussi, je coule et je flambe... Me forge la sagesse des Sages... Et la sagesse qui ruisselle fertilise l'alentour de mon Amour. »..

 

« Eau et feu je suis, eau et feu nous sommes, femmes et hommes transcendant le deux. »...

 

Et tous de reprendre à sa suite... « Eau et feu nous sommes. »...

 

Elle prit une petite statuette en argile grise et bleue représentant la Déesse-Mère des Origines et éleva celle-ci au-dessus d'elle... :

 

« Notre Mère à tous et à toutes »...

 

Et tous de reprendre : « Notre mère à tous et à toutes. »...

 

« Je suis la Matrice de toute Matrice, le Sein des Seins, La Source de toute fontaine, le Soin de tout bassin. »...

 

L'Ancien poursuivit :

 

« La Mère enseigne, la Mère veille, la Mère instruit et inspire, offre ou reprend, accorde ou retire...

Par Elle nous pouvons appréhender l'unique, connaître la Nudité du Un...

Elle est la forge, le marteau et l'enclume, la plante qui guérit tout,

La trame aimante et silencieuse du Poème, la Génitrice éternelle, la semence, la graine, le blé, le seigle et l'orge...

 

Nous sommes l'argile, la marne et la glaise que caresse le divin potier. Nous sommes la forme qui tourne sous le doigté aimant de la Dame et qui donne figure et mouvement aux pleins et aux déliés de l'Amour. »...

 

La statuette passa alors de main en main se posant, au passage, sur le cœur de chacune et de chacun allaité par son Essence...

 

Le Cercle alors convergea vers le Centre et tous et toutes entourèrent l'Etre nouveau de leurs bras et de leur poitrine faisant voûtes d'étoiles sur l'Homme réenfanté...

 

Il n'y eu plus alors qu'un seul battement dans le cœur élargi du monde !...

 

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A SUIVRE...



30/05/2017
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